Recueil de récits
La lutte contre la Covid-19 nous rassemble. Au regard de son écosystème, chaque établissement de santé trouve les solutions pour faire face à cette deuxième vague épidémique. Autant de situations riches d’enseignement pour tous, et aussi, une manière de vous rendre hommage !
Semaine 52 : RETEX de 3 directions d’établissements de santé.
Professeur Docteur Hugo Van Aken, directeur médical du CHU de Münster, Allemagne
Le CHU de Münster a accueilli de nombreux patients étrangers atteints de la Covid au printemps et lors de la 2e vague qui sévit actuellement, dont 2 patients français. Comment les choses se sont-elles déroulées ?
Lors des première et deuxième vagues, les autorités allemandes ont proposé aux pays voisins, dont la France, de prendre en charge des patients atteints de la Covid, pour désengorger les services de réanimation dans les régions très touchées par la pandémie. Le Bundesland limitrophe de la France, la Rhénanie du Nord-Westphalie (NRW) qui dispose de plus de 6 500 lits de réanimation (en allemand Intensivbetten), s’est naturellement déclaré volontaire pour prendre en charge des patients français et début novembre, un premier patient de Lille a été transféré dans notre service de réanimation du CHU de Münster, suivi par un 2e patient. Ensuite nos collègues de Lille nous ont signalé qu’ils étaient de nouveau en capacité de faire face à l’afflux de leurs patients. À l’heure actuelle, 50 patients atteints de la Covid ont été référés dans des hôpitaux en Allemagne.
L’appel est venu du ministère de la Santé de notre Bundesland mais nous avons coordonné le transfert en direct avec les équipes françaises. Notre cellule de management pour l’accueil des patients internationaux est rodée à l’exercice et a organisé les transferts par hélicoptère, soit 1h15 de vol. Le contact avec les familles s’est bien passé et nous avons organisé la présence de collaborateurs qui parlent français lors du réveil des patients, sinon nous avons des traducteurs. Nos 2 patients français sont restés entre 3 à 6 semaines dans nos services et sont rentrés chez eux actuellement.
Le CHU de Münster est en charge, sous ma responsabilité, de l’organisation de la cellule de coordination pour le Bundesland, qui répertorie le nombre de lits de réanimation disponibles pour des patients étrangers, sans perturber la prise en charge de la population de notre territoire. Notre Bundesland a accueilli une centaine de patients étrangers lors des deux vagues, la plupart originaires des Pays-Bas qui compte le même nombre d’habitants que la NRW mais 6 fois moins de lits de réanimation. Les frais de prise en charge ont été offerts par le gouvernement allemand lors de la première vague. Pour la deuxième vague, les frais sont refacturés selon les accords européens de sécurité sociale.
Est-ce que le système de santé allemand est mieux armé que les autres pays pour faire face à une pandémie ?
Au regard des images terribles que nous recevions d’Italie, d’Espagne et de France, nous avons tout de suite pensé que ces pays allaient avoir des difficultés car tous trois ont à peu près le même nombre de lits d’hospitalisation pour 1 000 habitants (2,5/3), bien inférieur à celui de l’Allemagne (6). (Source OCDE 2020, chiffres 2017)
En Allemagne, du fait de notre population vieillissante, nous avons progressivement baissé le nombre de lits d’hospitalisation – nous en avions auparavant 7,5 pour 1 000 habitants – pour augmenter de manière importante celui de lits de réanimation. Aujourd’hui, au niveau mondial, nous sommes le pays qui dispose du plus grand nombre de lits de réanimation, 32 000 lits, 34 pour 100 000 habitants (France : 12 (16 selon certaines sources) ; Pays-Bas : 6), une infrastructure inestimable en temps de pandémie (Source OCDE 2020, chiffres 2017). Je pense qu’il est nécessaire de disposer d’un taux élevé de lits de réanimation et j’ai toujours milité en ce sens, non seulement parce que la population vieillit, mais également parce que les moyens thérapeutiques actuels demandent à ce que l’on dispose de ce type de lit.
L’Allemagne investit beaucoup d’argent dans la santé de sa population et se situe au 4e rang au niveau mondial en ce qui concerne les dépenses par habitant, 11,7 % du PIB : 5 966 USD contre 4 965 USD pour la France, presque 1 000 USD de différence, c’est beaucoup. (Source: OECD Health Statistics 2019, WHO Global Health Expenditure Database)
Maintenant, le système de santé allemand, bien équipé et performant, se heurte à un problème majeur, la pénurie de professionnels de soins, qui se fait d’autant plus ressentir que nombre d’entre eux se mettent en quarantaine en cas de suspicion de contamination. Cette pénurie perturbe grandement l’activité des hôpitaux.
Quelle est votre position vis-à-vis des coopérations médicales transnationales ?
Dès la première vague et les premières demandes de nos voisins hollandais, nous avons tout de suite accepté de venir en aide. Le ministre de la Santé de notre Bundesland m’a demandé si nous étions en capacité, j’ai répondu : « Oui, nous pouvons aider. » Lors d’une conférence de presse en direction de la population, il a déclaré « Ce serait un scandale pour notre pays de refuser notre aide à des pays amis, alors que nous en avons les capacités. » Nous avons mis en place une cellule de coordination pour répertorier le nombre de lits de réanimation que nous pouvions mettre à disposition sans mettre en danger notre propre organisation territoriale. Au début de la première vague, nous avions 200 lits de libre et en avons utilisé 48. D’ailleurs notre ministre de la Santé nous y a incités avec ces mots : « Dans 50 ans, lorsque nous écrirons l’histoire de cette pandémie, on ne doit pas lire que les hôpitaux allemands avaient des capacités et n’ont pas proposé d’aide. » Nous avons d’ailleurs reçu la visite de notre Président féd Frank-Walter Steinmeier à Münster fin septembre, qui nous a remerciés, ainsi que les professionnels de soin, pour avoir organisé la prise en charge de ces patients en particulier. Nos personnels y étaient favorables et d’ailleurs les autorités hollandaises les en ont remerciés avec l’envoi de 3000 maatje, le premier hareng de la saison prêt à être consommé et une délicatesse aux Pays-Bas.
Samuel Kowalczyk, DG de la Polyclinique du Parc à Caen
Positif et fragile
Comme tous, nous disposons d’une expérience désormais de plusieurs mois de gestion de la Covid. À Caen, la coordination entre les acteurs publics et privés du territoire qui s’était déjà très bien passée au cours de la première vague, s’est encore renforcée au cours de la seconde. En Normandie, l’ARS a pris la décision de déprogrammer 30 % de l’activité, un choix édicté par le plan blanc. La doctrine régionale a été que chaque établissement devait soigner ses propres patients atteints de la Covid et devait s’organiser en fonction.
Ainsi, à la Polyclinique du Parc, nous avons ouvert 10 lits supplémentaires de médecine sectorisés Covid et 3 lits de soins critiques. Nous avions en novembre jusqu’à 9 patients. Toute l’activité de cancérologie a été naturellement sanctuarisée, du dépistage à la chirurgie quoiqu’il arrive, ainsi que les urgences.
Aujourd’hui, nous avons repris 100 % de notre activité et réfléchissons sur un scénario de troisième vague pour réagir en 48 heures et mettre notre organisation en adéquation avec les gradations régionales demandées jusqu’au niveau 4 d’une déprogrammation massive. À ce dernier stade, nous pourrions ouvrir 5 lits en réanimation et 15 en médecine. Nos procédures sont définies, nous sommes à nouveau prêts.
Cette deuxième vague nous a clairement enseigné comment faire face à l’épidémie en poursuivant notre activité, ce que nous aurions dû déjà faire au printemps mais la connaissance de la Covid était alors très différente et la peur était grande.
Les files actives de patients n’ont pas été prises en charge en temps et en heure et l’activité de dépistage a été stoppée au printemps. Nous constatons depuis cet été les effets délétères de cette décision nationale avec des retards de diagnostic et de prise en charge du cancer.
Au printemps, les médecins se sont mobilisés sans réfléchir mais ont ensuite attendu 6 mois pour être payés, aujourd’hui, ils sont au courant du mécanisme et bénéficient d’une rémunération adhoc pour l’ouverture des unités Covid. De même, les établissements disposent d’une visibilité selon un traitement équitable des acteurs. Le mécanisme est peut-être perfectible mais il a permis de débloquer des moyens.
Chez les soignants, la fatigue est là. La mobilisation a été extrême mais des contreparties existent en premier lieu les mesures Ségur. L’ensemble est fragile mais on peut constater factuellement, que établissements/praticiens/salariés ont bénéficié d’évolutions positives.
Rôdés et préparés, de nombreuses questions restent toutefois en suspens : l’épidémie va-t-elle reprendre en janvier, où et comment ? Le virus va-t-il muter ? Quel sera le succès de la campagne de vaccination ? Le premier semestre sera entaché par cette épidémie. Nous connaitrons sans doute un retour à la normale à la fin de l’année 2021.
Enfin, de ces deux vagues, je retiens que nous avons réfléchi collectivement et avons été solidaires. La crise a montré le meilleur et les carences du système. Nous devons être vigilants sur l’équité de traitement des acteurs, et le positionnement des GHT qui supplanteraient l’organisation régionale. La collaboration public/privé est peut être un grand mot mais c’est désormais un fait. A moyen terme, nous souhaitons pérenniser en Normandie certaines autorisations de lits de réanimation dans les établissements qui disposent des équipes et du plateau technique. C‘est une qualité supérieure des soins que nous devons à la population.
Jean-Pierre Danau, DG de la Clinique de l’Europe à Rouen et de l’Hôpital Privé Pasteur à Évreux
Une collaboration entre tous les acteurs
À la grande différence de la première vague, nous étions d’avantage préparés.
L’épidémie a davantage impacté notre territoire à l’automne. Une organisation efficace s’est immédiatement mise en place, rythmée par un point hebdomadaire, entre le CHU de Rouen, les 3 établissements Vivalto Santé et les autres établissements de santé privés rouennais.
Le CHU était naturellement en première ligne et de même, les établissements privés ont accueilli des patients atteints de la Covid et sont venus en soutien du CHU pour l’activité chirurgicale.
La Clinique de l’Europe a servi de pivot en armant jusqu’à 12 lits de réanimation pour des patients atteints ou non de la Covid. Actuellement, nous avons encore 8 lits de réanimation. De plus, nous avons ouvert 10 lits de médecine Covid et 8 lits de SRR Covid. Pour ce faire, nous avons dû déprogrammer jusqu’à 50 % de notre activité et nous nous sommes appuyés sur l’aide de la Clinique Mathilde et la Clinique Saint Antoine.
La Clinique Mathilde, non Covid, a pour sa part délesté le CHU d’une activité en chirurgie, notamment en ORL et en ophtalmologie, en accueillant soit des patients, soit des praticiens du CHU venus opérés chez nous. L’établissement a de même ouvert un service de médecine polyvalente pour soulager la Clinique de l’Europe.
Enfin, la Clinique St Antoine a aussi soulagé le CHU mais aussi nos cliniques en prenant en charge des actes chirurgicaux.
Notre objectif quotidien était de réguler le plus efficacement les besoins en soins parmi nos trois structures et de soutenir le CHU et les établissements de notre territoire. Cette organisation public/privé déjà actée par tous les acteurs hospitaliers du territoire et validée par l’ARS lors de la première vague a été simplement reproduite à l’automne.
Il est à noter que cette collaboration public/privé a été aussi mise en place à Dieppe et à Évreux où Vivalto Santé est aussi présent.
Aujourd’hui, la déprogrammation est plus « naturelle », c’est-à-dire à l’initiative de patients qui annulent.
Il est à noter que tous les acteurs (soignants et médecins) ont répondu présents et même si comme tous, je suis inquiet de la reprise en janvier, nous serons tous prêts à répondre à une éventuelle 3ème vague.
Crédits photos : Privé