Recueil de récits
La lutte contre la Covid-19 nous rassemble. Au regard de son écosystème, chaque établissement de santé trouve les solutions pour faire face à cette deuxième vague épidémique. Autant de situations riches d’enseignement pour tous, et aussi, une manière de vous rendre hommage !
Semaine 48 : RETEX de 4 directions d’établissements de santé.
Frédérique Gama, présidente de la FHP Auvergne Rhône-Alpes (AURA), directrice de la Clinique Charcot, Sainte-Foy-Les-Lyon (69)
Nous sommes en arrêt total d’activité depuis le 23 octobre !
Sans crier gare, l’ARS nous a envoyé un courrier vendredi 9 octobre au soir pour nous demander de réduire notre activité de 25 %. Une semaine plus tard, vendredi 16, elle nous demandait d’annuler toutes les hospitalisations pour ne garder que l’ambulatoire. Vendredi 23, l’ARS imposait un arrêt total d’activité. Bien entendu, les urgences, l’activité de dialyse, etc. sont maintenues ainsi que la cancérologie pour laquelle j’ai demandé d’inclure l’activité de diagnostic.
Nous étions les premiers à revenir à la même situation qu’au printemps dernier, à la différence notable que notre région était la seule et la plus touchée par la Covid, avec un taux d’incidence 2 à 3 fois supérieur au reste de la France. Aucune négociation n’a été possible.
La première vague a été marquée par un grand élan de solidarité, la deuxième est très compliquée à gérer. Dans l’intervalle, on peut déplorer que la région n’ait pas construit entre les deux vagues un plan structuré de déprogrammation et reprogrammation dans le temps et par territoire, si bien qu’aujourd’hui, tout le monde est à l’arrêt y compris les établissements sans urgences et sans réanimation ou dans des territoires moins touchés. Cette décision globale ne trouve pas de sens sur le terrain.
Ce troisième courrier a été mal vécu car la situation pouvait permettre encore un certain temps une activité en ambulatoire, qui ne nécessite pas de réanimation et permet de prendre en charge un grand nombre de patients. L’ARS, inquiète par les prévisions de l’Institut Pasteur et probablement très à l’écoute des Hospices Civils de Lyon (HCL) et des hôpitaux publics qui disposent des deux tiers des lits de réanimation, a largement anticipé une crise à venir. Notre capacité à arrêter notre activité en 24h n’a pas encore été intégrée. Par ailleurs dans notre région, la gestion des territoires a été donnée par l’ARS aux chefs de file des GHT, ce que nous avions demandé à l’ARS d’abandonner en sortie de première vague.
L’ARS s’est basée sur les modélisations de l’Institut Pasteur qui, si elles ont été exactes sur le timing, sont erronées sur le volume : nous avons atteint le chiffre de 900 patients accueillis en réanimation et non les 1200 attendus. La région de Saint-Étienne a certes été totalement dépassée par le flot de patients, quand Lyon était moins touché et a su gérer, et Clermont-Ferrand était plus épargné encore.
Des relations tendues avec les praticiens libéraux dans cette deuxième vague
Il n’y a aucune opposition avec les médecins libéraux dont nous comprenons parfaitement la colère de ne pas pouvoir exercer leur métier et se retrouver pour la deuxième fois dans l’année à l’arrêt et sans revenus. Toutes les spécialités ne sont évidemment pas impactées de la même façon et la situation n’en est ressentie que plus injuste. La FHP AURA que je préside, relayée par la FHP nationale a beaucoup plaidé en faveur d’un dédommagement des praticiens libéraux. Pour l’heure, nous n’avons pas de réponse de notre tutelle alors que nous parlons du financement de ceux qui assurent la permanence médicale d’un service Covid.
Des pertes de chance minimisées
Dès la levée du confinement au printemps, nous avions négocié une reprise très rapide et avons développé une activité supérieure d’environ 10 % à celle de l’année dernière. Un ratio constaté aussi par mes collègues.
Aujourd’hui, nous avons partagé des propositions de critères médicaux à destination des cellules de programmation dont disposent toutes les cliniques, pour tendre vers une certaine homogénéité entre nous, qui est difficile à tenir sur le terrain.
La collaboration avec le secteur public fonctionne et les patients sont répartis entre les établissements de santé en réanimation et en médecine. Notre service de médecine accueille des patients atteints de la Covid transférés des hôpitaux. Nous avons envoyé du personnel de bloc vers les services de médecine et de réanimation des HCL via la même convention utilisée pour la première vague.
Vendredi dernier, nous avons convaincu la FHF, puis les HCL de plaider avec nous auprès de l’ARS pour une reprise de l’activité en ambulatoire tout en maintenant le personnel actuellement en place en réanimation, car les taux d’incidence ont chuté et les entrées en réanimation et en médecine se stabilisent.
Positif, nous constatons moins de renoncement aux soins. Les consultations sont maintenues et les agendas des médecins sont pleins. Les usagers ont moins peur et ont intégré les mesures de sécurité. La cancérologie, grâce au diagnostic mieux assuré, ne devrait pas avoir de retard de prise en charge contrairement à la première vague. En revanche, la liste d’attente en chirurgie s’allonge. J’espère que le vaccin va bientôt arriver car les équipes médicales et les directions sont épuisées. Nous redoutons une troisième vague.
Xavier Vaillant, directeur territorial Méditerranée, groupe Elsan
Une deuxième vague un peu différente…
À mes yeux, la première vague était beaucoup plus caractérisée par l’émotion. Dans un premier temps, ces émotions étaient surtout négatives avec de nombreuses craintes. La peur de manquer d’équipements de protection, celle de voir les soignants tomber malade, celle de ne pas faire face au nombre de patients… La frustration aussi, puisque nos établissements étaient placés en seconde ligne et qu’ils ont dû attendre leur tour avant d’accueillir les premiers transferts (une attente plus ou moins longue selon les territoires). Mais nous avons eu des émotions positives aussi, avec de nombreux témoignages de reconnaissance, de solidarité, la joie de voir les premiers patients guéris et le sentiment d’être utiles. La première vague n’aura donc pas laissé que des mauvais souvenirs et nous sommes certainement nombreux à avoir apprécié de passer plus de temps dans les services et moins sur nos ordinateurs.
Sur la seconde vague, nous avons rencontré de la lassitude et de l’agacement mais le professionnalisme nous pousse à nous plonger dans l’action et à ne pas perdre de temps à ressasser. Dans les 13 structures du groupe Elsan que je coordonne, nous avons eu relativement peu de soignants malades et les dernières nouvelles qui arrivent sont plutôt rassurantes. Si notre angoisse d’avoir des salariés et des médecins malades existe toujours (quelques instants de relâchement suffisent dans une longue journée de travail), nos efforts payent et le fait de pouvoir limiter et gérer les risques rassure.
L’immense difficulté d’aujourd’hui consiste à gérer de façon simultanée des activités Covid et non Covid
Aujourd’hui, sur mon périmètre, nous prenons en charge 63 patients atteints de la Covid et 20 en réanimation sur nos 48 lits disponibles. À la Polyclinique Les Fleurs, par exemple, nous avons porté notre capacité de réanimation à 17 lits, tout en conservant un volant d’activité de l’ordre de 40 %. S’il est de notre devoir de participer à la lutte contre l’épidémie, nous prenons aussi en charge des patients dialysés qui comptent sur nous, des urgences cardiologiques et des interventions cancérologiques. Nous sommes conscients des risques associés aux retards de prise en charge mais aussi de la souffrance des patients qui attendent.
Ainsi, de nombreuses interventions sont reportées et il est très difficile de calibrer au quotidien le juste niveau d’activité en fonction des moyens disponibles et des besoins. D’autant que pour gagner la compréhension et l’adhésion des équipes, les décisions doivent être justifiées. Déprogrammer massivement des activités et se retrouver avec des personnels désœuvrés n’a pas de sens. À l’inverse, nous ne rencontrons aucune difficulté pour déprogrammer rapidement des interventions quand les services Covid se remplissent.
Un niveau de difficulté supplémentaire s’ajoute avec la situation des médecins libéraux. Sans médecin il n’y a pas de clinique et sans accès au bloc opératoire, certaines disciplines sont en grande difficulté. Avec la FHP, nous faisons notre possible pour rappeler que les médecins libéraux ont des entreprises avec des charges et que la déprogrammation n’a pas les mêmes conséquences pour tous. Nous espérons qu’ils pourront aussi bénéficier d’aides financières et surtout qu’ils pourront reprendre toutes leurs activités le plus rapidement possible.
Une bonne coopération avec le secteur public qui se confirme
Dès les premiers jours du mois de mars, nous avons proposé une approche coordonnée au niveau des territoires. Nous nous sommes rapidement entendus avec nos confrères du public et avec l’ARS.
Dans le Var, par exemple, chacune de nos 6 cliniques a proposé de s’investir à sa manière et à hauteur de ses possibilités. Pendant que la Polyclinique Les Fleurs étendait sa réanimation à 20 lits, la Clinique du Cap d’Or montait un service de médecine Covid, la Clinique Les Lauriers accueillait le service d’oncologie de l’Hôpital de Fréjus, la Clinique Saint-Michel envoyait une dizaine de soignants à l’Hôpital de Toulon (pendant 6 semaines) et la Polyclinique Notre Dame envoyait des respirateurs et des réanimateurs en renfort dans le centre hospitalier voisin. Sans oublier nos services d’HAD qui ont apporté un précieux soutien aux Ehpad.
Pour la seconde vague, les habitudes de travail étaient là. Moyennant quelques adaptations, nous avons pu reprendre nos points réguliers, notre stratégie de flexibilité capacitaire, nos prêts de matériel et mises à disposition de professionnels.
Nous sommes convaincus que nos « GHT privés » ont prouvé leur utilité dans une stratégie sanitaire collective. Nous espérons juste ne pas avoir à l’activer pour une troisième vague. Soyons raisonnables durant les fêtes…
Benjamin Mahieu, directeur de la Clinique des Trois Vallées à Bédarieux et de la Clinique Pasteur à Pézenas (34)
Elias Gharbi, pharmacien, attaché de direction à la Clinique Pasteur
L’ARS nous a accompagnés dans cette deuxième vague
Nous n’avançons pas dans l’inconnu lors de cette deuxième vague : nous connaissons mieux la maladie, les soignants sont formés, savent se protéger, nous sommes donc collectivement mieux préparés. Nous notons moins de peur et donc moins de stress. La grande différence est naturellement une déprogrammation partielle, pour nous de 20 % de l’activité.
L’ARS nous a laissé la main et n’a pas édicté de règles contraignantes, si ce n’est celle de déprogrammer l’activité consommatrice en ressources humaines, qui nous empêcherait d’accueillir les patients atteints de la Covid. La demande était moins abrupte qu’au printemps et nos comités de déprogrammation œuvrent au mieux. Nos médecins sont réellement moteurs. Des points hebdomadaires de bed-management nous permettent d’ajuster par territoire. Notre leitmotiv est donc de maintenir nos équipes disponibles afin de ne jamais refuser un patient qui se présenterait aux portes de nos services d’urgences.
Une synergie groupe
Le groupe Cap Santé, composé de la Clinique Saint-Jean à Montpellier et de nos 3 établissements MCO implantés sur tout le territoire de l’Hérault, dans des zones plus reculées, à Ganges, Pézenas et Bédarieux, travaillent en réseau. Cette synergie groupe nous permet de ne jamais dire non à un patient. Nous bénéficions notamment d’un pneumologue, d’un interniste et d’un gériatre en continu, et le cas échéant, le patient peut être transféré en réanimation à la Clinique Saint-Jean qui dispose d’une autorisation dérogatoire. De plus, nous disposons de deux établissements SSR armés d’un service Covid et d’une HAD qui prend en charge actuellement environ 70 résidents atteints de la Covid dans des Ehpad de la zone bitterroise.
À Pézenas, 5 lits sont armés en permanence pour la Covid dans une unité dédiée protégée par un sas, et nous pouvons monter à 10. Cela représente 25 % de notre capacité en médecine. À Bédarieux, nous avons 15 lits dédiés Covid et avons accueilli jusqu’à 12 patients en simultané.
Une logique de territoire ancrée de longue date
Sous l’égide de l’ARS, nous sommes mieux organisés pour cette deuxième vague et la collaboration avec le secteur public se passe très bien. Outre les transferts de patients, nous échangeons des ressources humaines ou du matériel. Dans les petites villes où nous sommes implantés, nous connaissons nos collègues des hôpitaux locaux publics de longue date. Soulignons que nous ne sommes pas concurrents mais clairement complémentaires.
La population a mieux compris et intégré les gestes barrières. Elle sait que nos établissements sont sécurisés et disposent de circuits différenciés. En revanche, l’interdiction des visites crée beaucoup d’incompréhension auprès des patients et de leurs familles.
Des équipes prêtes
Dans chacune de ces deux cliniques, nous avons entre 50 et 80 salariés, tous corps de métier confondus : nos établissements sont à taille humaine. Les équipes étaient prêtes pour cette deuxième vague et se sont impliquées pleinement malgré la fatigue de cette année si particulière. Dans nos territoires isolés, les soignants se sentent essentiels en toutes circonstances et nos établissements sont les seuls recours en termes d’urgences (24h/24, 365j/an) et de médecine aiguë. Tout le monde se connaît depuis des années, certains sont là depuis 30 ans, et cette dimension humaine rassure.
Alors que les courbes redescendent, nous démarrons la prochaine réorganisation, celle des 6 ou 8 mois à venir, qui nous permettra de travailler avec la prise en soins des patients Covid au quotidien dans une activité normale qui devra reprendre très vite.
L’épidémie a permis de mettre en avant l’utilité de nos structures de proximité. Nos établissements sont essentiels, non seulement, il faut les préserver mais il faut les renforcer.
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