Le monde d’après : la santé à distance
Le numérique a sauvé les liens sociaux durant le confinement et l’épidémie a accéléré les pratiques de téléconsultation et téléexpertise dans un cadre temporairement assoupli face à l’urgence. Demain comment démocratiser ces outils, créer de la confiance notamment au regard de la sécurisation des données et ne laisser personne au bord de la route du numérique ? Comment passer du numérique en santé à la santé numérique, en construisant un parcours numérique de soins ? Nous partons de loin, des systèmes d’information performants et sécurisés au sein des établissements de santé et des cabinets de médecins seront une étape essentielle.
Dr Jacques Lucas, président – Agence numérique en santé
Nécessité faisant loi durant l’épidémie, nous avons expérimenté, plutôt qu’appris, l’usage de la téléconsultation. Des professionnels de santé, réfractaires à un autre mode de pratiques professionnelles que le mode classique, et des patients à l’aise avec la dimension intuitive des outils l’ont adoptée. La téléconsultation a essentiellement concerné des patients qui craignaient avoir la covid 19 et les médecins qui l’ont pratiquée se sont eux-mêmes préservés d’une contamination. Ils ont fait œuvre très utile en prenant ainsi en charge un certain nombre de ces patients et ceux atteints de pathologies chroniques. J’espère que ces pratiques perdureront. Tous se sont aperçus que le numérique en santé n’était pas un monstre froid mais que cela dépendait des bons usages qu’on en faisait. C’est un des éléments importants de la feuille de route de l’agence du numérique que je préside.
La médecine de demain ne sera plus une médecine individualiste mais une pratique collégiale d’une équipe de soin au bénéfice d’une personne. Tous devront disposer d’outils numériques, de dossiers informatisés, de messagerie, pour communiquer. Le téléphone reste un outil associé mais ne laisse aucune trace de l’échange. Ces modes ne sont pas excluants.
L’accès au numérique : un droit du citoyen
La téléconsultation rompt l’isolement et permet aux patients de rester dans le parcours de soins. Le patient connaît déjà le médecin, l’a rencontré en chair et en os, et lui fait confiance. Cette confiance est réciproque : le médecin sait quels conseils et comment les donner car il connaît son patient. Le numérique est un formidable outil d’autonomie pour le patient qui ne dépend plus de l’enseignement officiel, du suivi physique, et pourra devenir un co-auteur de santé. Au fond, nous parlons ici de défendre des principes citoyens et pas seulement de patients.
Toutefois, il doit y avoir un accompagnement citoyen afin de ne laisser personne sur le bord de la route du numérique. Notamment, les groupes régionaux d’appui au développement de la e-santé (GRADE) déjà très actifs, doivent encore aller davantage au devant de la population.
Le numérique rompt également l’isolement des territoires. Pour cela, l’accès au numérique doit devenir un droit du citoyen, au même titre que celui de poster des lettres ou de téléphoner. Il faut donc que le haut débit arrive partout en France afin de réduire les inégalités dans l’accès aux soins.
Les télésoins sont également amenés à se développer et concernent les professions para-médicales. Par exemple, le kinésithérapeute ne posera pas un diagnostic mais pourra téléguider une personne âgée dans sa rééducation fonctionnelle à distance. Le patient ne sera pas déplacé, restera à domicile ou dans son Ehpad mais ne fera pas ses mouvements seul. Cela ouvre de grandes perspectives.
De même, les consultations spécialisées à distance par la télémédecine vont se développer. Combien de territoires n’ont pas de cardiologues, pneumologues, etc. et n’ont pas accès à une consultation dite d’expert ? Les médecins spécialistes se sont regroupés, se forment entre eux et se sur-spécialisent au sein de leur cabinet. Dotés de moyens numériques, ces spécialistes comme les communautés professionnelles de territoire de santé pourront répondre à ces besoins.
Des sites d’informations
Le site sante.fr, service public d’information en santé, accompagne le citoyen dans sa recherche d’information sur les maladies et la prévention. Il l’accompagne également dans l’offre de soins et de solutions médico-sociales. Il faut le promouvoir et en améliorer la portabilité sur tablette et smartphone. Des applications numériques se sont développées extrêmement rapidement : Mes Conseils Covid dans la nouvelle application Tous Anti Covid, propose de façon géolocalisée où se faire dépister. Ou encore, une startup bordelaise a développé avec le CHU de Bordeaux, Lille et l’institut Pasteur, une application de pharmaco vigilance pour comprendre les interférences possibles entre les différents médicaments.
L’éthique numérique
L’épidémie devrait renforcer le civisme et la responsabilité citoyennes par rapport à un individualisme forcené. Il faudra expliquer que partager des données personnelles relatives à sa contagiosité à la Covid sur un outil sécurisé n’est pas discriminant. La Covid-19 est une maladie qui touche tout le monde.
Le numérique devra renforcer l’éthique du soin qui concerne les professionnels de santé et les citoyens. Nous devons tous prendre soin de l’autre, par les moyens mis à disposition. Les associations de patients militent déjà en ce sens. Nous avons besoin d’une alliance entre la représentation citoyenne des patients et la représentation des professionnels de santé pour tirer le numérique dans le même sens.
Nous devons dire oui résolument aux moyens numériques avec des garanties. La radiographie et les isotopes ont amélioré la prise en charge des maladies malgré les risques. Le numérique comporte des risques et il faut travailler sur la protection des données personnelles et garantir leur confidentialité.
Dr Yann-Maël Le Douarin, conseiller médical télémédecine – DGOS
L’usage de la télésanté s’est accru pour faire face à une situation de crise et répondre à l’urgence sanitaire. Le cadre réglementaire a été adapté ou accéléré pour y faire face, avec notamment l’ouverture dérogatoire du télésoin dont la publication du décret et de l’arrêté est prévue d’ici quelques mois. Les professionnels de santé ont agi rapidement dans le cadre de l’urgence sanitaire, dans des délais contraints, sans avoir le temps de s’organiser, de choisir leur outil, de se coordonner le cas échéant avec les systèmes d’information existants, etc. Afin d’aider à cette mise en place rapide le ministère a publié différents documents, dont des guides pour le suivi à distance des patients atteints de la covid, ou encore un référencement des outils disponibles en France.
En quelques mois, nous sommes passés d’une situation où la téléconsultation commençait à se déployer, puis à un usage de crise, et nous espérons demain, à une téléconsultation généralisée et démocratisée. Aujourd’hui, en sortie de crise aiguë, notre challenge est de faire perdurer ces usages partout où ils sont pertinents, de capitaliser sur cette prise de conscience des professionnels de santé et des patients, tout en revenant sur une « épure » organisationnelle et technique.
Les représentants d’usagers ont un rôle prépondérant sur comment guider les patients/citoyens et les praticiens pour passer d’une organisation de crise à une organisation pérenne du numérique dans un cadre qui existe déjà mais qui est mal connu, et plus globalement sur la place qu’ils souhaitent donner à la santé numérique demain.
De la confiance
La sécurisation des données est majeure. Que deviennent les données de santé partagées avec les professionnels de santé, les banques de données, l’État ? Il y a une grande défiance alors que nous avons besoin de confiance commune.
Deux raisons nous donnent espoir que ce dossier du numérique va décoller : l’équipe de Dominique Pon, Laura Létourneau et Jacques Lucas ont repris les rênes, renoué les liens, mis les acteurs autour de la table et créé de la confiance. Une vision claire est posée, l’espace numérique en santé arrive, le virage du numérique est accompagné. Et la crise a fonctionné comme un déclic qui accélère la conduite du changement.
D’une façon générale, on observe quatre phases dans une conduite du changement, et cela marche aussi pour le numérique en santé : le déni, la résistance, l’acceptation et enfin, l’appropriation. En phase 1, les gens disaient que le numérique n’arriverait jamais, durant la phase 2 de ces dernières années, les gens constataient que le numérique arrivait mais que ce ne serait pas pour eux, puis il y a eu ce déclic qui a motivé certains à essayer. Nous espérons être désormais dans cette phase ascendante qu’il faut accompagner. Nous devons solidifier la confiance et construire ensemble.
Inventer le parcours numérique du soin
Nous devons expliquer que la télémédecine ou la e-santé n’est pas un gadget, mais un outil complémentaire dans l’arsenal, et une nouvelle approche qu’il faut apprendre. Les professionnels de santé n’ont pas appris durant leurs études à consulter un patient à distance comme cela est le cas pour le présentiel. L’examen clinique ne se fait pas de la même façon et cela s’apprend. Comment passe-t-on de la notion de gadget à une nouvelle notion de soins ? Il nous faut passer du numérique en santé à la santé numérique, puis à la santé tout court !
Outre l’interopérabilité technique entre logiciels, l’interopérabilité sémantique est à construire : les outils doivent nommer les données de santé de la même manière, il faut parler le même langage. Parallèlement, des négociations avec la CNAM devront s’ouvrir pour construire des financements à adapter progressivement aux nouveaux besoins et pratiques. Par ailleurs, des groupes travaillent sur la fracture numérique et l’accompagnement nécessaire des citoyens et leur montée en compétences. Le numérique est par exemple une formidable opportunité pour des personnes dépendantes d’une tierce personne pour se rendre à un rendez-vous, elles retrouvent ainsi une certaine autonomie.
Ce chantier est ambitieux mais la prise de conscience du numérique en santé est sans précédent. Le changement de culture s’est accéléré. Les usagers et leurs représentants, notamment au sein des établissements de santé sont le meilleur levier de changement. Ils doivent continuer plus que jamais à faire ce qu’ils font depuis plusieurs années : être acteurs du système de santé. Si les citoyens s’emparent du sujet, demandent, construisent, nous avancerons.
Le numérique, c’est du lien, et le lien, c’est de l’humain. Le numérique a sauvé les liens sociaux durant le confinement. Il permet de replacer le citoyen au centre du système de santé.
Nesrine Benyahia, docteure en droit de la santé, fondatrice de DR DATA, présidente du collège numérique de la Société française de santé digitale (SFSD)
Poser des cadres et aller de l’avant
Nous avons été énormément questionnés par des professionnels de santé dans un premier temps sur le choix de l’outil pour faire de la téléconsultation. Le patient, pour sa part, doit savoir renseigner ses données, disposer d’une carte bancaire et d’une bonne connexion internet. De plus, il doit être en capacité de comprendre les informations de santé données alors même qu’il ne maîtrise pas forcément les codes de cette conversation ou le français lui-même dans certains cas, quand la langue est aussi une barrière. De nombreuses questions ont été posées sur l’utilisation des données échangées, sur la saisie des coordonnées bancaires et sur la notion d’hébergeur de données de santé certifié etc.
La téléconsultation a explosé en mode « open bar » durant l’épidémie avec des outils gratuits – WhatsApp, Facetime, etc.- déjà présents dans les téléphones. Cette permissivité durant la crise était déstabilisante car la France dispose de réglementations sur l’hébergement des données de santé et leur sécurité, sur l’information des patients… C’était un mauvais message à envoyer aux professionnels de santé et aux patients.
De plus, la responsabilité dans cette relation soignant-soigné était questionnée : quelle est la valeur d’un conseil médical donné sur WhatsApp, ou encore que se passe-t-il si le médecin ne répond pas à une demande, parle-t-on alors de non-assistance à personne en danger ? Où est la traçabilité de la prise en charge ? Des ordonnances étaient envoyées par WhatsApp, l’urgence de cet envoi était-elle caractérisée ? Nous avons un problème de régulation et de communication.
Le point positif est que, précisément, la question de la protection des données personnelles de santé et la question de leur accès est enfin entrée dans le débat public. Toutefois, même si la sécurité des données est garantie, si la confiance n’est pas au rendez-vous, le système ne marchera pas. Quand il s’agit de notre santé, on fait d’abord confiance à notre médecin, et pas nécessairement à une application ou à un fournisseur.
Il y a une démarche pédagogique préalable indispensable dans laquelle le médecin joue un rôle majeur, il faut donc donner au patient un temps de compréhension et d’appropriation de cette médecine à distance. C’était l’erreur de StopCovid (dans sa première version) d’aller trop vite. Les usagers ont aussi besoin de sens : pourquoi collecter des données si nous ne sommes pas en capacité de tester ni d’isoler ? Il ne faut pas infantiliser le patient mais plutôt le responsabiliser en lui donnant toutes les clés de compréhension.
Aujourd’hui, les médecins envoient par WhatsApp des images médicales de leurs patients à un confrère pour solliciter un avis. La télé-expertise dont il s’agit ici (si on peut la considérer de la sorte) doit être pratiquée via des outils sécurisés mais surtout elle doit être financée et soutenue. Combien les professionnels de santé seront-ils payés ? Parlerons-nous d’une vraie rémunération dans le cadre d’une expertise, celle d’une téléexpertise, ou d’une entre-aide gratuite entre confrères ? Les professionnels de santé le font tous les jours pour une meilleure prise en charge de leurs patients, le soutien de cette pratique de la télémédecine mérite réflexion, notamment du point de vue du recueil du consentement du patient.
La santé presque à domicile
La Covid a démontré qu’on ne pouvait pas se passer de la santé numérique, et même que nous étions en retard. La téléconsultation est censée être la représentation de la pratique réelle en virtuel or telle qu’organisée à ce jour, elle ne peut être qu’une offre complémentaire. Demain, il faut aller au bout de la chaîne et déployer des objets connectés en capacité de collecter des données de santé en vie réelle, en organisation par exemple avec le pharmacien ou l’infirmière. Il s’agirait d’organiser la santé presque à domicile, ou à proximité du domicile et de structurer un parcours de soins numérique. Alors, il faudra d’abord construire la réglementation, puis les outils qui répondent clairement à la réglementation et ensuite il faudra embarquer les patients dans cette médecine 3.0 pour qu’elle fasse partie de leur quotidien.
Dr Jean-François Thébaut, vice-président en charge du plaidoyer et des relations externes – Fédération française des diabétiques
Un système d’information performant, préalable à l’e-santé
Pour les usagers, le point important de la santé à distance est l’amélioration de la continuité des soins, dans le sens d’un meilleur accès et un meilleur suivi des soins. Comment les outils de télésanté permettent de préparer mon hospitalisation, et de retour à domicile, m’aident-ils à rester en communication avec l’équipe de soins qui m’a pris en charge tout en étant en relation avec mon équipe de soins primaires ou spécialisés sur le terrain ? L’e-santé doit m’accompagner à toutes ces étapes, avant, pendant, après. Par exemple, comment l’e-santé assure ce « service après-vente » dans le cas d’une chirurgie de l’obésité dont le suivi dure des mois, voire des années ? Elle peut et doit éviter la rupture de cette continuité du suivi des soins. N’oublions pas qu’en France, il est très inhabituel pour un médecin de relancer ses patients. Moi-même, lorsque j’exerçais comme cardiologue, il était exceptionnel que j’appelle un patient en disant : Je ne vous ai pas vu depuis 1 an, comment allez-vous ? La rupture du contact avec son médecin est une des raisons des abandons de soins.
Nous partons de loin
Les logiciels métier des médecins sont rarement interopérables entre eux et avec celui de l’établissement, pourtant il nous faut un système coordonné qui mette en commun tous les acteurs de la chaîne pour faire fonctionner un système unique. Mettre tout le monde d’accord sur un même logiciel est aujourd’hui quasiment impossible. Or la médecine à distance démarre par un système d’information performant. La majorité des systèmes de téléconsultation sont totalement déconnectés des logiciels métier des professionnels et obligent à une double saisie. S’équiper pour faire de la téléconsultation ne s’improvise pas, et demande de la rigueur aussi dans la réactualisation permanente des outils. Si un dispositif d’e-santé est mis en place, il doit ensuite fonctionner sans discontinuité. Un exemple : une très grande partie des consultations externes de l’AP-HP est gérée par Doctolib dont le service a été stoppé (à la demande de l’AP-HP) dès le déclenchement du Plan blanc. Les secrétaires ont dû rappeler par téléphone tous les patients pour effectuer un suivi. Ces patients n’étaient pas dans l’urgence extrême mais d’un seul coup, ils ont été tous abandonnés à eux-mêmes sans possibilité de contact avec leurs spécialistes référents habituels.
Des utilisateurs privilégiés
Nous avons mené une première enquête sur la téléconsultation en février 2020 pour en observer les usages, puis un sondage[1] « #revoirsonmédecin », en juin 2020 au début du déconfinement, pour évaluer les abandons de soins, puis une dernière enquête miroir est prévue début 2021 pour en apprécier l’évolution. Notre échantillon représentatif était composé de 2 400 patients atteints de maladies chroniques dans 12 régions (200 par régions).
Les résultats de la première enquête montrent que, concernant notre population de diabétiques, l’usager de la téléconsultation est plus souvent une femme, active, qui travaille, dotée d’une formation en moyenne de bac+3. La majorité des utilisateurs est sous insuline, diabétiques de type 1 et davantage encore de type 2, suivie par un diabétologue et non pas par un médecin généraliste. Ils possèdent quasi tous (86%) un smartphone. Ces utilisateurs qui ont conscience qu’ils sont privilégiés, sont d’accord à 90 % pour garantir une équité d’accès aux soins pour tous, mais ne sont pas prêts à payer pour cela.
La jonction avec la médecine de ville toujours présente est absolument indispensable. En toutes circonstances, ces professionnels de ville comme les patients doivent avoir un point d’entrée, un téléphone, une adresse mail. Pour cela, et avant toute chose, un système d’information performant au sein des établissements de santé est absolument fondamental. L’objectif final serait d’arriver à une interopérabilité complète que ce soit par le dossier médical partagé (DMP) ou le futur espace numérique de santé (ENS).
[1] B3TSI Institut de sondage ayant toutes les garanties de qualité et sécurité pour les données de santé
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