Le monde d’après : vers une gouvernance partagée au service
des usagers ?
Cette gouvernance ne sera pas « au service » mais « avec » les usagers, notent d’emblée les intervenants de cette table ronde. Ils en appellent à une coopération pleine et entière des acteurs de santé sur les territoires, et à une co-construction basée sur la confiance. Les instances de démocratie sanitaire devront selon eux évoluer en ce sens, mais également une forme de démocratie très directe, complémentaire des usagers, devra être pensée.
Dr Alexandra Fourcade, cheffe du bureau des usagers,
direction générale de l’offre de soins, ministère des
Solidarités et de la Santé
Pour une démocratie directe
Il est curieux tout d’abord d’intituler cette table ronde « vers une gouvernance au service des usagers » car cela donne l’impression qu’on ne le faisait pas avant. Le système de santé par définition est tourné vers le service rendu aux patients et aux usagers. De plus, la gouvernance n’est pas au service de l’usager car nous parlons d’une gouvernance partagée. La question est : Comment peut-on associer le plus étroitement possible les patients dans la construction des mesures, que ce soit pour le confinement et déconfinement en période Covid, ou dans une période plus apaisée hors crise.
Partant de cette reformulation, notons que cette crise nous permet de franchir une étape dans l’association des patients aux décisions, après celle de la dernière décennie de mise en place des instances de démocratie sanitaire. La crise de la Covid est révélatrice : elle met le doigt là où ça fait mal et en même temps elle génère des modes de fonctionnement nouveaux, innovants, créatifs et pour lesquels on n’a pas eu besoin de textes, de normes, de procédures de 20 pages pour que ça se passe bien sur le terrain.
La deuxième vague est beaucoup plus compliquée à gérer car les établissements continuent de prendre en charge les patients non atteints de la Covid. Le bon usage du système de santé n’en est que plus important. Les associations ont un rôle majeur à jouer et nous comptons beaucoup sur des partenaires comme France Assos Santé pour expliquer aux patients, par exemple, l’intérêt du recours à la téléconsultation, l’importance du médecin traitant dans le parcours de santé, tout particulièrement dans cette phase où les hôpitaux et les services d’urgences sont saturés.
Un modèle d’organisation déconnecté du terrain
Le modèle de concertation décrit dans la loi de 2002 basé sur des commissions des usagers dans les établissements de santé, des conseils territoriaux de santé, des conférences régionales de santé autonomie, une conférence nationale de santé, s’est trouvé déconnecté du terrain durant la crise. Il a été pris de vitesse et n’a pas été en capacité de mettre en place des mécanismes souples et réactifs pour influencer des décisions prises notamment par les ARS. Le ministère a travaillé avec ses partenaires institutionnels habituels – fédérations hospitalières, présidents de CME, doyens, etc. – mais les associations de patients ont été assez peu concertées, tout du moins dans la première phase. Ce constat doit nous conduire à adapter le modèle de démocratie en santé à la gestion d’une crise sanitaire et à envisager une participation plus directe des usagers aux choix de politique de santé au-delà des instances existantes.
Bien sûr, informer les gens prend du temps et est compliqué, mais en même temps, c’est un moyen de faire adhérer les patients et les citoyens aux mesures prises. Que pouvons-nous reprocher à des citoyens insuffisamment informés ? C’est le constat que nous pouvons faire : en mars, l’État a pris des mesures très sévères de restriction de libertés considérant que le débat n’avait pas sa place. Pourtant, entre les 1re et 2e vagues, nous aurions dû davantage interroger les retours d’expérience des patients.
En direct avec les usagers
Au sein de notre bureau des usagers au ministère, nous nous sommes immédiatement mis en capacité de traiter les signaux faibles, c’est-à-dire les réclamations, les questions : « Je ne comprends pas, mon opération de la hanche a été déprogrammée, je n’ai pas de suivi pour ma cataracte, mon médecin généraliste a fermé son cabinet », ou encore de nombreuses questions éthiques sur la fin de vie dans les Ehpad, les conditions d’organisation des enterrements, les derniers adieux rendus impossibles. Ces sujets très concrets pendant la crise nous ont obligés à travailler autrement. Nous avons donc analysé ces remontées de terrain et les avons transmises à la cellule de crise interministérielle. Par ailleurs, nous avons analysé les verbatims recueillis via la plateforme téléphonique de France Assos Santé « Santé Infos Droits ». Nous avons ainsi permis de modifier le texte sur les soins funéraires pour réintroduire la possibilité de toilette funéraire et de dire adieu à ses proches, redéfini par un décret en avril. Dans ce cas, ce sont les témoignages directs des familles des usagers et non les instances de gouvernance qui ont permis d’avancer.
La DGOS a mis en place depuis cette rentrée un point hebdomadaire avec France Assos Santé sur les décisions prises, et récemment encore celles relatives aux déprogrammations. Si ces décisions sont médicales, et reposent sur les avis des sociétés savantes, il est important de les relayer auprès des médiateurs que sont les représentants des usagers et les associations. Il est normal de s’appuyer sur France Assos Santé pour faire œuvre de pédagogie auprès des familles, de même que le premier ministre s’explique au parlement et s’appuie sur ses députés. C’est une relation de co-responsabilité.
Par ailleurs, notre pays a été le siège de controverses non régulées par la puissance publique ni par les partenaires associatifs pour recentrer le débat et lutter contre les prétendus experts de BFM TV. La question de l’information est un levier vital en démocratie en santé. Nous devons nous donner les moyens pour communiquer fortement dans les médias et sur les réseaux sociaux, et contrer les « fake news » qui entravent la confiance des citoyens et leur adhésion aux mesures prises pour les protéger.
Les enseignements de la crise
Le constat de cette organisation directe, très opérationnelle nous amène à faire évoluer la représentation des usagers sans remettre en cause le modèle d’agrément des associations de patients. Une participation directe fluide et spontanée des patients dans les services et dans les staffs des établissements est nécessaire : qu’est-ce que vous avez trouvé de positif dans ce service, quels sont les dysfonctionnements ? Ces points n’attendent pas la commission trimestrielle des droits des usagers. Le cadre de cette démocratie directe devra être précisé à l’heure où une multitude de termes arrivent (patient expert, etc.).
Demain, les représentants des usagers devront-ils bénéficier d’une formation, seront-ils rémunérés, sur quels critères seront-ils recrutés ? Le cadre au sein duquel des patients témoignent de leur expérience auprès de leurs pairs ou celui de la participation de patients à des formations médicales universitaires devra être précisé.
Nous devons redéfinir la place du patient qui s’exprime dans un questionnaire de satisfaction comme celle du patient partie prenante d’un établissement et qui n’est pas forcément membre d’une association agréée. À l’instar d’un statut de syndicaliste au sein d’une entreprise, celui de bénévole doit être étudié. Une personne qui ne serait pas membre d’une association agréée ne pourrait pas demander à siéger à la commission de la transparence de la HAS, en revanche, elle peut être extrêmement utile pour contribuer à un projet d’un service. La publication de la HAS « Soutenir et encourager l’engagement des usagers », diffusée en juillet dernier va justement dans ce sens : sortir du cadre très rigide de la loi de 2002 d’une démocratie très encadrée, très structurée. Ces approches complémentaires témoignent d’une maturité de notre démocratie sanitaire.
France Assos Santé représente 85 associations importantes, ce qui donne du poids à une communication co-construite avec le ministère de la Santé. Nous parlons d’un changement culturel !
Alexis Vervialle, conseiller technique santé, France Assos Santé
Un constat : l’affaissement des instances de démocratie en santé pendant les 1re et 2e vagues
Cette crise a révélé tout d’abord un affaissement des structures permettant l’expression des droits collectifs : les lieux de démocratie en santé n’ont pas fonctionné et ne fonctionnent pas comme ils devraient, notamment dans les instances régionales et territoriales (CRSA, CTS, CDCA). Certaines ont été à l’arrêt total, d’autres ont fonctionné de manière informelle ou au ralenti, et enfin certaines, mieux équipées, ont pu se mobiliser pour travailler sur des thématiques spécifiques à distance. Il en est de même dans bon nombre de structures hospitalières publiques ou privées où les portes ont également été fermées pour les représentants des usagers et où le lien, même à distance, semble rare.
La deuxième vague a à peine permis d’ajuster le tir malgré une mobilisation associative accrue et quelques bonnes expériences de démocratie sur les territoires.
L’avenir : pour une participation accrue des représentants d’usagers dans la gouvernance des organisations de santé !
Les Commissions des usagers (CDU) ont gagné en missions (regard EIG, médiation…) notamment depuis la loi de 2016 qui renforce leur rôle. Il est maintenant nécessaire de les conforter en les reconnaissant dans les établissements comme une instance à part entière. Trop souvent la CDU est considérée comme un organe « pour information » a posteriori et non de consultation a priori.
L’échelle des niveaux de participation[1], utilisée notamment par les promoteurs du modèle de Montréal[2], donne une excellente grille de lecture pour identifier les degrés d’engagement des personnes dans le système de santé. Ce modèle identifie 4 niveaux, en fonction de l’intensité de l’engagement. Si l’on applique ce modèle à la représentation des usagers dans les organisations de santé (ville/hôpital/médico-social), on obtient :
- L’information : les représentants des usagers sont informés de l’organisation des soins et des projets menés ;
- La consultation: les représentants des usagers sont sollicités pour donner leur avis sur l’organisation des soins / les projets menés ;
- La collaboration: les représentants des usagers sont incités à échanger et formuler des propositions sur l’organisation des soins / les projets menés ;
- La codécision (ou partenariat) : les représentants des usagers sont sollicités en amont pour définir l’organisation des soins / les projets menés.
Les auteurs du modèle précisent quand même que le niveau co-décisionnel n’est pas forcément à atteindre partout, tout le temps.
Mais, force est de constater que sur le plan des organisations de santé, la gouvernance incluant des représentants de usagers est très disparate et atteint peu le niveau co-décisionnel.
En soins primaires, les initiatives d’engagement des patients restent minoritaires. Certaines équipes de soins primaires dites « ESP » (maison de santé, centre de santé et d’autres modes d’exercice plus légers) réalisent des questionnaires d’expérience patient, voir mettent en place un comité des usagers, mais ces initiatives restent très localisées. On se situe donc ici entre absence d’initiatives sur le sujet et les niveaux « information/consultation ».
Sur l’organisation des soins hospitaliers, les différentes lois successives ont permis partout en France la création de structures dédiées dans des Commissions des usagers (CDU) et des Conseils de la vie sociale (CVS) dans le médico-social. Ici, on oscille donc entres les échelles « Information/consultation/collaboration » suivant les projets, mais rarement avec une réelle co-décision des projets et des organisations de soins. Ce schéma est également applicable à l’échelle des politiques publiques de santé, où les décideurs politiques atteignent rarement le niveau de co-décision.
Des initiatives éparses naissent dans les territoires pour améliorer et rééquilibrer l’engagement des usagers. Allons au-delà de l’information et co-construisons les futures organisations de soins.
[1] Manager en impliquant les usagers et les citoyens dans le pilotage des établissements et services de santé Laurie Marrauld, Roland Ollivier Dans Le management en santé (2018), pages 179 à 202 [2] Le « Montréal model » : enjeux du partenariat relationnel entre patients et professionnels de la santé Marie-Pascale Pomey, Luigi Flora, Philippe Karazivan Dans Santé publique volume 27 / N° 1 Supplément - janvier-février 2015, page 41 à 50
Béatrice Noëllec, directrice des relations institutionnelles et veille sociétale, FHP
Acteurs de santé et usagers, des attentes partagées
Dans le Ségur de la santé, les acteurs ont porté des grands axes de rénovation profonde du système de santé, qui doivent profiter à tous. Le premier axe est évidemment la coopération, pleine et entière, des acteurs de santé de tous statuts sur les territoires : elle est la condition indispensable de la fluidité du parcours des patients. Le deuxième axe concerne le besoin d’un environnement moins procédurier, plus lisible : les acteurs de santé comme les usagers aspirent à davantage de simplification, veulent disposer d’interlocuteurs mieux identifiés, d’informations plus transparentes, de partage de données fiables. Le troisième axe est celui de la confiance a priori envers les acteurs de terrain grâce à un fonctionnement moins descendant, plus transversal. Il n’y a donc pas d’opposition entre ce que portent les usagers et ce que portent les acteurs de santé vers la puissance publique, mais une vraie convergence de vues et d’attentes pour l’avenir. Nous ne parviendrons pas à réformer et moderniser le système de santé sans le revisiter, dans les grandes impulsions politiques comme dans les pratiques de terrain, à l’aune des usagers, sur cette base de confiance et de co-construction.
Prenons l’exemple de la pertinence, un concept complexe derrière lequel chacun met des acceptions disparates, et où la seule logique économique ou statistique est vouée à l’échec. D’une part, les professionnels de santé doivent s’approprier cette démarche, en progressant en continu dans l’ajustement de leurs pratiques et en partageant celles-ci avec leurs pairs. D’une part, et la FHP l’avait porté dans le Ségur, le patient peut lui aussi être contributeur à cette mesure de la pertinence, en tant qu’utilisateur d’une prestation de soin, s’exprimer sur ses besoins, son ressenti du service rendu dans l’amélioration effective de son confort de sa vie, et participer ainsi à l’évaluation de la pertinence des soins proposés. Ainsi s’inscrit-on dans une démarche « partenariale » où le savoir médical et le savoir profane, expérientiel, s’enrichissent considérablement.
Une parole légitime
Il faut faire œuvre de pédagogie pour amener les patients à considérer leur parole comme légitime et essentielle pour faire progresser le système de santé. Les questionnaires de satisfaction ne sont pas toujours remplis car les patients n’en voient pas forcément l’intérêt. Surtout, la mesure concerne l’évaluation d’une prestation à un instant T, mais ne rend pas compte du service rendu à plus ou moins long terme.
Il y a sans doute, sur les territoires, matière à réfléchir à des cadres plus formels de recueil de l’expression des patients. Les patients comme les femmes enceintes ou les usagers des services d’urgence par exemple, n’ont pas vraiment de lieu dédié pour s’exprimer, pour dire ce qu’ils ont vécu etc. Ne pourrait-on pas constituer des panels de patients qui, sur un même bassin de vie, exprimeraient leurs besoins, leurs attentes ?
La Fondation des usagers du système de santé
Cette fondation, créée à il y quelques années par la FHP et abritée par la Fondation de France, a pour but de mettre en valeur des initiatives exemplaires prises pour et avec les patients sur les droits, l’humanisation des soins, l’accès aux soins, la prévention… Nous avons lancé un appel à projets en septembre 2020, avec un angle autour des initiatives en lien avec la crise sanitaire, et de très nombreux dossiers nous sont parvenus.
Dans ce cadre, nous avons échangé par exemple avec l’Institut de l’expérience patient, qui œuvre à la prise en considération de cette mesure de l’expérience patient : on note un engagement croissant des établissements de santé privés. Nous sommes à l’écoute du monde associatif, comme ATD quart-monde par exemple, qui développe des projets fondés sur l’expérience des patients précaires : leur regard, aiguisé par un quotidien difficile, est précieux pour améliorer les prises en charge et ainsi permettre des progrès qui profitent à tous.
Enfin, la crise sanitaire nous le montre : nous devons travailler à un système de santé plus ouvert sur la cité, sur la société civile, sur l’implication des citoyens, car l’acceptation sociale des mesures prises, a fortiori dans un contexte exceptionnel, est un enjeu majeur pour relever les défis.
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