Forces et limites de l’organisation des soins en France
Les trois fédérations hospitalières – FHP, FHF et FEHAP – sont sur la même longueur d’onde et relèvent l’efficacité des professionnels de santé et l’émergence du territoire comme l’échelon pertinent de la gestion de crise et finalement de l’organisation des soins. Elles pointent toutefois de nombreux points d’amélioration, dont celui de la démocratie sanitaire absente. Pour Gérard Raymond, président de France Assos Santé, il ne faut pas gérer la crise pour les patients mais avec eux.
Gérard Raymond, président – France Assos Santé
La démocratie sanitaire a été balayée
Cette crise sanitaire a été un révélateur et un accélérateur des difficultés déjà identifiées et partagées par tous les acteurs de longue date. Nous n’étions pas prêts opérationnellement et psychologiquement en mars, et ce tsunami nous est tombé dessus. La peur des patients a donc prévalu.
Nous avons laissé les commandes aux scientifiques et aux professionnels de santé : tant mieux, car ils ont trouvé les solutions pour faire face. Les établissements hospitaliers ont réussi parce que les professionnels de santé ont piloté et que les administratifs ont suivi.
En revanche, les soins de premier recours se sont trouvés balayés : les patients ont eu peur et certains cabinets étaient fermés. Cette coordination entre les acteurs du premier recours et les établissements de santé n’a pas fonctionné. Ce problème ne pouvait pas être réglé durant l’accalmie estivale, tout comme celui des ressources médicales d’une manière générale et de leur formation. Pour le moins, nous avons pris conscience de ce problème majeur et j’espère que cette crise peut accélérer la mise en œuvre d’une organisation plus agile, plus coopérative entre les acteurs, via aussi les moyens numériques. Même si cette vision est actée, la crise va plus vite que la transformation du système de santé et nous oblige notamment à accélérer le virage numérique.
Gérer la crise avec les patients et non pour eux
Les scientifiques et les politiques ont pris des décisions sans la participation de représentants d’usagers et de citoyens, et ont réalisé cet été qu’ils les avaient totalement oubliés. Aujourd’hui, ce dialogue a toujours du mal à se mettre en place, or la population comprend de moins en moins les décisions politiques. Les outils et les instances de démocratie sanitaire existent pourtant à tous les échelons, mais il n’est simplement rien demandé aux représentants d’usagers. Je comprends qu’un directeur d’établissement hospitalier très entouré et sous pression va au plus simple mais je réfute qu’il pense faire tout cela pour nous car nous lui demandons de le faire avec nous. Les représentants d’usagers doivent être associés au même titre que les autres acteurs présents.
Cette crise a balayé les plus fragiles, les individus et aussi les structures comme celles de la démocratie sanitaire. Nous manquons cruellement de cette culture du partage et de l’échange. La plus grande découverte de ce début du 21e siècle n’est pas le séquençage du génome ni le numérique, c’est le patient ! Cette démocratie sanitaire s’est construite dès 2002 sur une contestation et les relations ont longtemps été tendues entre les professionnels de santé et ces organisations émergentes mais il faut s’habituer à leur présence. C’est un point essentiel d’acculturation.
Les usagers et leurs représentants n’ont pas les codes du relationnel médical et je ne veux pas de représentants universitaires, au risque d’en oublier la vraie vie. Je veux comprendre pourquoi je suis déprogrammé ou transféré et pour cela il faut me l’expliquer avec des mots que je comprends. Dès lors, je l’accepte et je peux le rapporter aux autres.
Le moins de déprogrammation possible
Il était vite prévisible que la situation sanitaire générale de la population serait dégradée à l’issue de la première vague. C’est ce que nous prédisons à nouveau. Nous demandons donc le moins de déprogrammation possible, et si déprogrammation il y a, elle doit s’accompagner d’une compensation. Les médecins libéraux de ville ont par exemple tout leur rôle à jouer pour apporter des solutions supplétives à l’hôpital. Nous ne réussirons que collectivement.
La régulation financière du système de santé lui a fait perdre tout son sens. Or soigner est le plus beau métier du monde, c’est celui de faire vivre d’autres personnes. Cette crise a permis à certains de retrouver du sens, mais dans la douleur.
Bertrand Sommier, secrétaire général – Fédération de l’hospitalisation privée (FHP)
La crise sanitaire a été un choc terrible pour notre système de santé, elle a mis à jour des faiblesses mais elle a aussi produit des choses positives, une mobilisation formidable sur le terrain, des coopérations d’acteurs inédites.
Avant toute chose, posons le constat que le système hospitalier a tenu. Certes il a été fortement challengé. Permettez-moi ce premier constat car il n’est pas anodin. En effet, il a exigé la mobilisation de tous pour faire face à la vague épidémique. Il est particulièrement intéressant d’analyser ce qui s’est passé en région Île-de-France. Les observateurs ont pointé, à juste titre, la remarquable coopération qui s’est mise en œuvre entre établissements de santé de tous statuts dans la lutte contre le virus. Je ne suis pas près d’oublier ce 25 mars 2020, à l’approche du pic épidémique, quand l’Agence régionale de santé d’Île-de-France a demandé aux trois fédérations hospitalières – FHF, FHP, FEHAP – de mobiliser en l’espace de quarante-huit heures, mille lits de réanimation supplémentaires. Cela donne une idée des ressources inouïes d’engagement des acteurs de santé, mais aussi des résultats que l’on peut obtenir lorsque la coopération des établissements publics et privés est effective, grâce à une régulation de l’ARS placée sous trois principes : la transparence, l’équilibre et l’équité.
Ensuite, il faut saluer l’engagement sans compter des professionnels, lesquels ont pour certains payé un lourd tribu voire même le plus lourd. Permettez-moi une pensée pour chacun d’eux. Nous avons observé un extraordinaire mouvement de solidarité et les Français ne s’y sont pas trompés en les applaudissant chaque soir. Ceux qui ont été quotidiennement au combat ont vu leurs collègues d’autres régions moins ou peu touchées venir les suppléer. Des bus et des trains entiers d’infirmières et d’infirmiers sont venus de toute la France prêter main forte aux régions en tension extrême. Pendant la crise sanitaire, les Français ont pu constater combien, dans l’adversité, les professionnels ont repoussé les limites du possible. Et je ne parle pas seulement des solutions destinées à pallier le manque cruel d’équipements de protection… mais aussi des conversions accélérées de services, de l’entraide humaine et matérielle entre les régions, de la préservation de la dimension humaine du soin, même sous la vague. À titre d’illustration, des médecins sont spontanément venus en renfort en dehors de leur spécialité médicale initiale, que ce soit en réanimation, dans les unités de soins continus ou en consultations de médecine.
Le deuxième élément, je veux dire que nous avons bénéficié d’une considération appuyée et croissante du ministre et de ses services quant au rôle et à la place des établissements de santé privés dans la crise sanitaire, manifestée par de nombreuses déclarations publiques. Le ministère a témoigné d’une volonté d’écoute et de prise en considération des points d’alerte des fédérations. Je veux adresser aussi un remerciement appuyé au ministre, ses services et à l’Assurance maladie d’avoir très vite pris des mesures financières par des avances de trésorerie, puis une garantie de financement, qui a permis aux établissements de se concentrer pleinement sur leur mission. Lorsque vous allez en région, soyez assurés que cette garantie est saluée de tous.
Je veux également saluer les ARS pour avoir permis une organisation qui a mobilisé tous les acteurs et dépassé certains clivages qui n’ont plus lieu d’être. Cela a parfois exigé un temps d’adaptation pour s’imposer assez vite. Il était alors complexe d’appréhender l’évolution de la situation, et son degré de gravité. On a assisté, après la crise aiguë, à un « ARS-bashing » inapproprié, auquel la Fédération de l’hospitalisation privée ne s’est jamais associée, et auquel le Ségur de la Santé n’a pas cédé, bien au contraire. Vous savez que la FHP a toujours porté ce message et a appelé dans le cadre du Ségur à un renforcement des ARS et de leurs DT, dans leur rôle de régulation de l’offre, même s’il est vrai que nous avons également appelé à ce qu’elles soient affranchies de certaines de leurs missions envers l’hôpital public, qui peuvent les mettre parfois dans un conflit d’intérêt.
Ainsi, le système a tenu par la mobilisation de tous. Dans ce contexte, on soulignera les coopérations public/privé, qui se sont imposées comme une évidence aux yeux de tous pour faire face aux enjeux que nous a assignés cette pandémie. Faisons que cette coopération soit désormais la règle des organisations territoriales. Lorsque les acteurs collaborent sous l’égide d’une ARS garante de la participation de tous à l’organisation de l’offre, cela se fait au bénéfice des patients et de la qualité des soins.
Une étude réalisée en mai dernier par la Fédération de l’hospitalisation privée, en lien avec l’institut d’opinion Viavoice, illustre le très haut niveau de confiance des Français envers les établissements de santé et les professionnels. 85 % ont une opinion positive des cliniques privées comme des hôpitaux publics, et 77 % plébiscitent leur coopération. La crise sanitaire n’a fait que renforcer cette confiance, et a installé la primauté de la mission sur le statut.
Tout cela a également été rendu possible par l’allègement de certains carcans, de certaines pesanteurs. Des décisions administratives qui d’ordinaire prenaient des mois, ont été débloquées en quelques jours : je pense à la délivrance de 99 autorisations dérogatoires de réanimation. Chacun a dû sortir de sa zone de confort, et c’est l’un des apports de cette épreuve terrible : réaliser qu’il faut miser sur davantage de simplification, que d’autres modes d’action et d’organisation de la santé dans notre pays sont réalisables, et se donner les moyens de les pérenniser. Cette simplification et allègement des contraintes administratives ont apporté une plus grande flexibilité aux acteurs et aux ARS. Ce doit également être un enseignement de cette crise pour aller vers plus de confiance a priori des acteurs, sous réserve d’un contrôle et d’évaluation a posteriori.
Pour autant, cette crise a révélé des rigidités presque anachroniques avec les enjeux et les réalités de terrain : les difficultés avec les services des douanes bloquant des EPI en pleine pénurie, des inspections du travail. Aussi, une meilleure coordination des différents ministères Santé, Travail, Éducation Nationale et Bercy auraient permis une plus grande réactivité pour alléger les contraintes inhérentes aux gardes d’enfants, aux durées de travail, aux approvisionnements importés… Il a clairement manqué d’inter-ministérialité dans la réponse aux enjeux de terrain.
Enfin, et comme la DGOS a pu l’exprimer devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, la déprogrammation des activités ne peut plus être totale pour tenir compte des impacts de la crise sur les retards de soins, comme l’étude de l’INCa en cours est en train de le montrer en cancérologie. À ce titre, force est de constater que les organisations territoriales retiennent une approche plus circonstanciée, au plus près des territoires.
Sur les usagers
Dans cette séquence de crise, la place des usagers a souvent été jugée insuffisante pour ne pas dire inexistante. Certes la crise a été soudaine et certainement sous-estimée en son début, de sorte que les organisations à trouver se sont focalisées sur les acteurs de la réponse sanitaire, s’affranchissant de la concertation avec les représentants des patients et des usagers.
Cette construction réactive vient cristalliser l’insuffisance de la place des usagers dans les organisations du système de santé. Cette insuffisance en amont de la crise n’a pu être que plus criante dans la période de crise. Les usagers ne pouvaient y trouver leur place dès lors qu’ils ne l’avaient déjà pas avant.
La refonte nécessaire de la gouvernance du système de santé a été largement débattue dans le cadre du Ségur de la santé où l’ensemble des acteurs s’est accordé sur le fait que les parties prenantes d’un système de santé devaient être au centre de cette gouvernance : il s’agit bien naturellement des établissements et professionnels de ville, des élus, mais également des usagers. Cela fait des décennies que les réformes hospitalières et différents outils de planification posent comme préalable la nécessité de mettre le patient au cœur du dispositif. Force est de constater que s’il est besoin de le répéter à l’aune de chacune des réformes ou déclinaisons des outils de planification, ce précepte n’est pas naturellement acquis.
Nous relèverons toutefois que le Ségur de la santé, dans ses conclusions, et non dans ses débats, est étrangement silencieux sur la refonte de la gouvernance de l’organisation du système de santé sur les territoires et l’implication des différentes parties prenantes. Je prendrai néanmoins acte d’une décision politique que les déclinaisons du Ségur s’inscrivent dans une continuité de Ma Santé 2022.
Il nous faut revenir aux missions, et pour cela, aux fondamentaux qui reposent sur la juste identification des besoins d’un territoire. De ces besoins se déclineront des réponses et une organisation avec l’ensemble des parties prenantes. C’est alors que nous financerons des missions et non des structures, évitant l’écueil d’une redondance ou du chevauchement des structures administratives ou strates des organisations.
Il s’agit d’inverser la construction de l’offre sanitaire et médico-sociale. Abandonnons une déclinaison descendante qui trouve très vite l’écueil d’une déclinaison en silos qui perd toute transversalité et qui conduit souvent dans une démarche absconse où la finalité originelle s’est perdue dans sa traduction administrative. Aussi, cette déclinaison trouve sa zone de confort dans une dynamique hospitalo-centrée (qu’elle soit publique ou privée) pour être la seule véritablement structurée, mais inadaptée à la granularité souhaitée pour organiser l’offre sur un territoire et garantir l’accès et optimiser les parcours de soins. L’organisation des soins s’est trop longtemps déclinée sous le seul prisme de la structuration de l’offre hospitalière. Il nous faut désormais sortir de cette zone de confort pour faire le pari des acteurs et des parties prenantes du système de santé sur un territoire. En ce sens, nous défendons Une santé qui se rapproche des territoires et la mise en œuvre d’une démocratie territoriale de santé pour la construction d’un projet territorial de santé qui mobiliserait les acteurs sanitaires, médico-sociaux, les professionnels de ville et bien sûr les usagers et les élus locaux.
Pour ce faire, deux conditions : un pilote et un intérêt pour emmener les acteurs. Pour le pilotage, il nous semble qu’il doit être sous l’égide de l’ARS et en l’espèce, des directions départementales qui doivent être musclées notamment quant au profil de leurs responsables. Sur l’intérêt, il faut savoir travailler les priorités structurantes d’un territoire pour emmener l’ensemble des acteurs. Nous avons proposé que chaque PTS devrait a minima répondre à 6 missions, lesquelles pourraient être complétées de missions inhérentes aux caractéristiques, notamment épidémiologiques, d’un territoire. Ces 6 missions sont : la coordination en cas de crise sanitaire, le numérique et les systèmes d’information, l’accès aux soins et la permanence des soins, la dépendance, les enjeux de prévention, et la lutte contre les inégalités de santé.
Il est nécessaire que se développe une véritable démocratie territoriale de santé, au plus proche des besoins, associant les acteurs de santé, les patients, et bien sûr les élus des territoires : la santé et l’accès aux soins étant devenus des thèmes prioritaires de préoccupation et d’interpellation de leurs concitoyens, il n’est pas envisageable que les élus demeurent plus longtemps latéralisés de ces enjeux.
Sur la nécessaire structuration de l’offre de ville, les CPTS sont un vecteur. C’est une partie de la réponse. Mais il ne faut pas exclure d’autres formes d’organisation nées de l’initiative des acteurs de ville. L’enjeu sera de les associer à la construction de l’offre territoriale, qui s’imposera si les objectifs du PTS sont clairs, concertés et en connexion avec les besoins d’un territoire, au contraire de directives descendantes parfois inadaptées.
Enfin, je voudrais terminer mon propos sur deux prérequis :
– Une refonte de notre gestion par la donnée. On observe un vrai déficit en la matière. Si je dois rester dans la seule gestion de crise, lorsque le ministère a décliné ses stratégies sur le ROR, les régions ont travaillé sur les SIVIC ou les ORU. Ce n’est pas possible. Il est urgent de stabiliser et d’harmoniser les données. Au niveau national comme au niveau régional, la lisibilité, la transparence et le partage des données favorisant la prise de décision la plus ajustée aux besoins de santé des citoyens, font le plus souvent cruellement défaut. Aujourd’hui en effet, les données de pilotage d’activités sont disséminées entre des organismes différents en fonction du statut des établissements. Or, face au défi épidémiologique tel que celui auquel nous sommes confrontés, la mise en partage de données homogènes et fiables doit être la clé d’un système de santé profondément rénové. C’est, à mon sens, une priorité majeure.
– L’étude réalisée avec l’institut d’opinion Viavoice illustre comme évoqué le très haut niveau de confiance des Français envers les établissements de santé et les professionnels. La crise sanitaire n’a fait que renforcer cette confiance, et a installé la primauté de la mission sur le statut. Aujourd’hui, notre pays a encore une vision trop figée du service public hospitalier, qui est excluant pour de nombreux acteurs. L’avenir réside dans la mise en œuvre d’un véritable service territorial de santé, au sein duquel les acteurs contractualiseraient avec la puissance publique, sur la base de missions au service des populations du territoire.
Alexandre Mokede, responsable du pôle Offre de soins – Fédération hospitalière de France (FHF)
Raisonner en territoire
D’une manière globale, les décisions prises lors de la première vague ont sauvé un nombre très important de personnes grâce à la mobilisation et l’engagement sans faille des professionnels de santé. Il faut le saluer.
La réactivité et l’adaptabilité sont réellement des forces du système de santé révélées par la crise pandémique. Du jour au lendemain, il a fallu prendre en charge des patients atteints d’une pathologie dont on ne connaissait rien. L’approche calendaire est essentielle car les grilles de lecture et de décision ont évolué en fonction des éléments dont nous disposions.
La crise a montré que les acteurs se parlent et s’organisent sur le terrain pour améliorer l’offre de soins. Les collaborations spontanées ou organisées ont ouvert les yeux à nombre de personnes et nous avons vu dans le cadre du Ségur de la santé une convergence de la quasi-totalité des acteurs : il faut désormais raisonner en territoire. Les plans blancs, par exemple, doivent s’inscrire dans une perspective territoriale.
La gestion des ressources humaines est en tension et dès lors que tous les soignants sont occupés, la discussion des déprogrammations démarre. À toutes ces étapes, la logique territoriale prévaut. C’est une leçon majeure de la crise.
Pour une démocratie sanitaire opérationnelle
Nous avons tous pointé l’absence des représentants des usagers durant la crise. La Conférence nationale de santé, la FHF l’ont regrettée. La démocratie sanitaire n’a pas fonctionné.
Le nombre de passages aux urgences a chuté de 75 à 80 %, les AVC, infarctus, appendicites avaient disparu sans explication, les dépistages cancer ont diminué. Nous avons eu des pertes de chance par renoncement. Associer les usagers nous aurait permis de limiter ces pertes de chance car nous aurions su comment aller chercher les patients.
Structurellement, la représentation des usagers s’appuie trop sur des instances et une représentation purement institutionnelle, or l’important est de les intégrer sur le terrain dans le quotidien des services. Il faut rendre leur présence opérationnelle. Pour y répondre, dans le cadre de la démarche de responsabilité populationnelle, expérimentée dans 5 territoires, nous travaillons à l’association des acteurs hospitaliers, de ville et les usagers.
La crise a aussi pointé des difficultés de coordination sur certains territoires entre le niveau territorial et régional des ARS et surtout entre les différentes instances de santé notamment entre l’aspect CNAM, les départements et le ministère de la Santé : il faut unifier !
Par ailleurs, nous voulons souligner que les GHT ne sont pas l’alpha et l’oméga de la régulation sur lesquels les ARS se délestent alors même que les GHT n’ont aucun pouvoir d’incitation ou de coercition sur les autres acteurs du territoire. Cette mission relève des projets territoires de santé.
Enfin et pour préparer demain, augmenter le nombre des lits de réanimation n’est probablement pas une bonne idée. Il faut conserver le pouvoir de les augmenter rapidement, et disposer d’une réserve. Les lits en réanimation sont très consommateurs en ressources et en augmenter le nombre de façon pérenne n’est pas pertinent : on ne peut pas dimensionner un système de santé sur la base d’un phénomène exceptionnel. Il nous faut garder de la souplesse et activer des réanimations éphémères avec des soignants formés aux soins critiques.
François Moro, directeur adjoint de l’Offre de soins – Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires (FEHAP)
Des forces mais aussi des points d’amélioration du système de santé
Je souhaiterais tout d’abord souligner la réactivité de la DGOS dans la gestion de crise en y associant les fédérations hospitalières. Dès le départ, nous avons noté une volonté de mettre en place les organisations adhoc s’appuyant sur une remontée d’informations du terrain, au niveau global ou par champ d’activité spécifique.
Une force de notre système de santé est aussi celle de rassurer les établissements de santé sur leur financement durant la pandémie avec la mise en place rapide d’une « garantie de financement » sur laquelle nous avons été concertés, même si tous les financements sollicités n’ont pas pu être délégués en totalité. Aider la trésorerie des établissements de santé est un élément majeur pour qu’ils puissent se concentrer sur la gestion de crise.
Nous notons également une volonté d’associer tous les acteurs d’un même territoire. Nous espérons que l’enseignement des transferts interrégionaux ou internationaux du Grand Est lors de la première vague a été tiré au vu des difficultés organisationnelles rencontrées pour associer les établissements de santé privés à but non lucratif, qui n’ont pas été pris en compte dès le départ. En effet, la connaissance des acteurs d’un même territoire est variable selon les régions. Cette volonté intégrative est bien présente mais elle ne fonctionne pas partout encore de façon satisfaisante. L’ARS est bien identifiée comme la seule autorité de pilotage. Nous assistons à une réelle montée en charge de l’échelon régional avec une gestion locale de la crise.
Enfin, en ce qui concerne les forces du système de santé, je souhaite rappeler la réactivité des établissements de santé privés à but non lucratif et leur loyauté pour répondre aux enjeux et demandes dans la gestion de la crise. Les ARS ont pu compter dessus.
Des points d’amélioration
Les CHU et les SAMU sont les appuis naturels des ARS mais ils ne connaissent pas forcément tous les leviers et toute l’offre de leur territoire. Les SAMU doivent intégrer désormais tous les acteurs dans la préparation des crises et leur gestion. D’une manière générale, la FEHAP a fortement demandé l’intégration de toute l’offre du secteur privé à but non lucratif en amont et aval, qu’elle soit de première ou deuxième ligne.
Par ailleurs, la démocratie sanitaire a été oubliée. On peut entendre qu’elle n’ait pas été prioritaire en début de crise aiguë mais l’épidémie s’installe et nous devons travailler avec les représentants d’usagers et les élus du territoire.
Il est nécessaire de connaître du préfet quels sont les équipements en stock, du maire ou du département les difficultés rencontrées par des structures sociales d’aval. Ces informations permettraient d’adapter les règles de décision dans les établissements de santé et celles des acteurs du soin plus généralement. De même, la voix des usagers est indispensable. Le cas de la santé mentale en est une illustration manifeste.
Ensuite, l’attention s’est portée exclusivement sur les établissements hospitaliers et, à un moindre niveau, sur la médecine de ville. Ainsi le bon fonctionnement des transports a été négligé et les ARS n’ont pas été assez rapides pour faire appliquer les consignes. L’activité de dialyse a ainsi rencontré des difficultés majeures alors que le suivi des patients ne peut pas être reporté ou modifié. Ce sujet demeure épineux.
Par ailleurs, les GHT ne peuvent pas gérer tous les stocks d’équipements EPI et leur distribution. Probablement, dans certaines filières, les acteurs pourraient très bien s’organiser entre eux. De même, les remontées épidémiologiques doivent être améliorées dans l’outil SIVIC ou dans les autres recueils spécifiques. Nous notons par exemple que les patients de dialyse atteints de la Covid ne sont pas identifiés dans SIVIC. Il est regrettable de perdre ces informations notamment en termes de suivi et de traçabilité.
Enfin, nous demandons une meilleure sécurité juridique pour appuyer les établissements de santé : quelle est la valeur juridique d’une recommandation si un contentieux venait à se déclarer ? Nombre d’autorités ont publié une profusion de recommandations parfois contradictoires. Durant cette deuxième vague, des confusions demeurent par exemple sur la gestion des arrêts de travail. Il faut veiller à ce que les actuelles recommandations ne soient pas un duplicata de celles de la première vague car les situations peuvent être très différentes.
Nous sommes aujourd’hui extrêmement vigilants sur les déprogrammations pour éviter les pertes de chance dont nous avions informé très tôt le ministère, notamment en cancérologie et pour les maladies chroniques. Cet été les établissements de santé ont accéléré l’activité pour répondre aux soins les plus urgents et rattraper le retard lié aux déprogrammations. Les déprogrammations et reprogrammations doivent s’organiser par territoire.
Crédits photos : Vincent Macher, privés