Covid-19 : les réponses sanitaires européennes
Le Dr Paul Garassus, président de l’Union européenne de l’hospitalisation privée (UEHP) le déclare d’emblée : « L’hospitalisation privée européenne a acquis ses lettres de noblesse dans la gestion de l’épidémie. » En Europe comme en France, des solidarités sont nées entre les zones en tension. Néanmoins, il regrette que chacun n’ait écouté que ses propres experts et pas ceux des voisins, alors même que la cellule épidémique européenne était inaudible. Partout en Europe, lors de la première vague, les établissements publics et privés ont déprogrammé leur activité et pris en charge des patients atteints de la Covid. Tour d’horizon européen, une newsletter réalisée en coopération avec l’UEHP.
Propos du Dr Paul Garassus, président de l’Union européenne de l’hospitalisation privée (UEHP), économiste de la santé.
La géographie de la crise n’est pas celle des États
Tout d’abord, l’hospitalisation privée européenne a acquis ses lettres de noblesse dans la gestion de l’épidémie. Les établissements publics ont parfaitement joué leur rôle et les établissements privés ont gagné leur place à leurs côtés. Quand le système sanitaire sature, les catégories sont oubliées : tous les acteurs publics et privés répondent présents et se jettent dans la bataille.
L’impact de l’épidémie n’est pas ubiquitaire
Certaines régions sont davantage impactées par le virus sans que personne ne puisse en expliquer la raison. En France lors de la première vague, l’Île-de-France et la région Grand Est étaient en première ligne, et à l’inverse, l’Occitanie ou la Normandie étaient protégées. Aujourd’hui, le quart Sud Est de notre pays concentre toute notre attention. De même, l’Italie du Sud était préservée, comme l’Autriche des plaines, ou encore le Portugal alors même que l’Espagne était fortement impactée.
En revanche, ce qui est certain, c’est que l’hétérogénéité des systèmes de santé ne peut expliquer intrinsèquement ces différences. Comment se fait-il par exemple qu’actuellement le ratio de l’épidémie par habitant est de 1 à 10 au sein de pays scandinaves dont les systèmes sanitaires sont très proches ? Le niveau de gravité de la pandémie ne dépend pas exclusivement du mode d’organisation des soins.
Les réponses à la crise sont exclusivement régionales
Nombreux pays fédéraux, en premier lieu l’Allemagne mais aussi l’Italie ou l’Espagne, ont des systèmes de santé régionaux autonomes. En Allemagne, chaque Land dispose d’un ministre de la santé. La gestion de crise s’est faite à l’échelon régional avec une coordination centrale. Néanmoins, lorsque le système de santé ploie sous la charge, il faut savoir activer le transport inter-régional des patients. Nulle part, ce point n’a vraiment été modélisé. Personne n’avait prévu la cascade d’évènements à laquelle les professionnels de santé ont dû faire face : ils se sont adaptés.
Quelques transferts internationaux se sont faits. De ce point de vue, l’Allemagne a fait preuve d’une grande générosité accueillant des patients français et italiens.
De même, des équipes de soignants se sont déplacées entre secteurs public et privé et entre régions, aussi entre pays, par exemple entre la Roumanie et l’Italie. D’une manière générale, des solidarités sont nées entre les zones en tension.
Une Europe au travail mais inaudible
Une cellule épidémique européenne siège à Bruxelles. Elle a été très active durant toute la première vague et aujourd’hui encore, émet des recommandations, publie des synthèses et analyses mais elle est inaudible. Les ministres européens de la santé se sont rencontrés à maintes reprises sans que l’on puisse en noter des effets apparents dans nos pays respectifs.
La crise a révélé que la santé reste au final une prérogative de dimension nationale.
Pour la première fois depuis le traité européen en 1957, les frontières entre les états membres ont été fermées, stopper la libre circulation entre les pays était symboliquement très fort. Nous avons fermé ces frontières mais pas celles entre les régions or la géographie de la crise n’est pas celle des États. On observe que la crise a renforcé les réflexes identitaires et sécuritaires : l’autre est apparu comme un étranger et de fait, nous avons perdu certaines valeurs d’ouverture et d’échange. En particulier, la parole scientifique avait et a toujours un poids national : chacun a écouté ses propres experts mais pas ceux des voisins. La ville de Marseille souhaitait même se doter d’un comité scientifique marseillais ! Comme si la parole scientifique ne valait pas si elle venait d’ailleurs. Malgré les bonnes volontés de coopération, le réflexe identitaire de renfermement sur soi prévaut sur tout. On est intéressé par les chiffres du voisin mais pas par ses méthodes. L’autorité locale cherche à s’imposer face à l’inquiétude des habitants. Ces derniers comprennent difficilement l’implication éventuelle d’un régulateur supranational.
Des États membres concurrents
La forte pénurie mondiale des approvisionnements en équipements de protection a montré une Europe en situation de concurrence à l’intérieur de ses frontières, voire même une compétition directe entre États Membres. Chacun essayant d’avoir un avantage fournisseur en termes de matériels ou de molécules. La même situation se reproduira pour l’accès aux vaccins. Les contrats secrets entre les laboratoires pharmaceutiques et les États sont très intrigants pour l’économiste que je suis. L’Europe s’est empressée de déclarer qu’elle paierait pour tous ses concitoyens, puis chaque état a déclaré de même… Pourtant, nous pourrions retenir de la première vague la nécessaire amélioration de la coordination entre les acteurs européens tout en préservant les prises de décisions de chacun dans son pays. Autonomie au sein de ses propres frontières mais néanmoins responsabilité nécessaire en matière de coopération sanitaire.
Nos institutions sont-elles prêtes ?
Il faut réintroduire une stratégie de « Risk-Management » face à la crise sanitaire voire en situation de danger à l’avenir quelle que soit la cause et se doter d’instances opérationnelles avec des compétences européennes à l’instar de la régulation économique.
L’urgence est aujourd’hui d’assurer la continuité des soins de façon concomitante à la gestion de la Covid. Un récent article de la revue scientifique BMJ démontre qu’un retard d’un mois dans la prise en charge d’un cancer augmente le risque de mortalité de 10 %.
Personne n’avait prévu une crise d’une telle ampleur et les gouvernants font preuve d’un engagement majeur à la recherche de la meilleure adaptabilité possible. Il nous faut toutefois améliorer la nécessaire résilience de nos systèmes de santé, ce que nous venons de vivre doit être une leçon durable. Où sont les « nœuds » critiques en structure de réseaux, et comment prévenir leur blocage.
Public/privé : quelle coordination ?
Partout en Europe, lors de la première vague, les établissements publics et privés ont déprogrammé leur activité et pris en charge des patients atteints de la Covid. Revue de leur organisation, un dossier réalisé en collaboration avec l’UEHP.
En Allemagne, les établissements hospitaliers des trois secteurs public, privé et religieux ont déprogrammé toute leur activité non urgente et se sont réorganisés. Ceux disposant d’un service de soins intensifs recevaient en priorité les patients atteints de la Covid. Sur les 28 000 lits en soins intensifs que compte le pays, 4 000 sont privés. Les acteurs s’étaient préparés à en doubler le nombre si besoin. L’État fédéral a approvisionné les établissements en termes d’équipements de protection.
De même, en Italie, les établissements publics et privés ont stoppé leur activité début mars pour accueillir les patients atteints de la Covid ou les cas urgents non Covid : ils ont mis à disposition 1 300 lits de soins intensifs ou de réanimation (16 % de la capacité totale nationale), 40 000 lits de médecine (22 % de la capacité nationale). Cette décision a été délétère dans des régions où le virus était très peu présent comme en Calabre, indique l’Association italienne de l’hospitalisation privée (AIOP). Le groupe privé San Donato qui gère 13 % des lits de la Lombardie, a pris en charge 18 % des patients atteints de la Covid.
En Émilie Romagne, les 44 structures privées (5 000 lits sur les 20 000 que compte la région) ont signé un partenariat avec la région qui a structuré l’offre public-privé en 3 niveaux pour faire face à la Covid, en fonction des compétences de chacun. « Le secteur privé a apporté une réponse en termes de ressources et de technologies que l’hôpital n’aurait pas pu structurer seul. Ne pas retenir cette leçon demain serait nier l’évidence », note l’AIOP.
En Espagne, les acteurs de santé ont « fait face au plus grand challenge sanitaire depuis un siècle », a déclaré Carlos Rus, président de l’Alliance de la santé privée espagnole (ASPE), qui représente 80 % du secteur. Les cliniques ont pris en charge au niveau national 16 % des patients hospitalisés pour cause de Covid et 14 % des patients en réanimation avec des différences notables selon les régions.
Au Portugal, les établissements privés ont acquis également leurs lettres de noblesse. « Le secteur public n’était pas en capacité de gérer seul la crise et nous avons fait la preuve que nous sommes indispensables. D’ailleurs, le ministre de la santé a déclaré qu’il faudra peut-être davantage s’appuyer sur les cliniques pour résorber les listes d’attente formées après la crise », a déclaré Oscar Gaspar, président de l’Association portugaise des hôpitaux privés (APHP).
En Grèce, les patients atteints de la Covid étaient hospitalisés en priorité dans les hôpitaux publics. Les cliniques ont annulé leur l’activité non urgente pour prendre en charge les patients non Covid et libérer des lits de réanimation. À partir de la mi-mai, elles ont été autorisées à reprendre 50 % de leur activité qui peinait à redémarrer. Elles ne sont pas éligibles aux aides d’État. « Aujourd’hui, nous faisons face à une question de survie de nos établissements », a déclaré Grigoris Sarafianos, président de l’Union grecque des hôpitaux privés (Panhellenic Union of Private Hospitals).
La coordination entre les secteurs publics et privés a également été très marquée en Suisse où les cliniques ont stoppé leur activité et accueilli des patients en réanimation et des patients non Covid transférés du secteur public. Dans le canton de Genève, un collège public-privé de chirurgiens des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) et de l’association des Cliniques privées de Genève (Genève-Cliniques) décidait des interventions qui ne pouvaient pas être repoussées plus de trois mois sans perte de chance et les effectuait dans un établissement, indépendamment de son statut ou du site opératoire.
Même esprit en Autriche où certains établissements hospitaliers privés ont joué un rôle clé dans la lutte contre le virus en étroit partenariat avec les hôpitaux publics. C’est le cas du groupe privé PremiQaMed hospitals avec l’Association publique des hôpitaux de Vienne (KAV). Ou encore, en Pologne, les cliniques ont stoppé leurs activités non urgentes pour se mettre à disposition si besoin.
Enfin, en Irlande et au Royaume-Uni, l’ensemble du secteur hospitalier privé a été mis sous contrat avec le gouvernement pour la première fois fin mars. Le ministre irlandais de la santé a déclaré : « pour la durée de la crise, l’État prend le contrôle de toutes les organisations privées de santé et leurs ressources humaines au bénéfice de la population. Il n’y a plus de chambre publique ou privée quand une pandémie nous frappe ».
L’Europe de la santé en quelques datas
Les secteurs de la santé et du médico-social sont un des plus grands employeurs dans les pays européens de l’OCDE, et représentent 10,1 % de l’ensemble des actifs, une proportion en croissance continue.
L’écart de la densité de médecins exerçant est majeur entre les pays européens, les extrêmes allant de 6,1 pour 1 000 habitants en Grèce à 2,4 en Pologne. La France affiche un taux de 3,2. Dans tous les pays OCDE, les effectifs sont en croissance.
Concernant les infirmières, l’écart entre pays est très marqué avec un maximum de 13 voire 14 pour 1 000 habitants en Allemagne et en Finlande, contre 3 en Grèce. La France affiche un taux de 10,5. Dans la plupart des pays le nombre d’infirmières augmente.
Le ratio moyen du nombre d’infirmiers par médecin est de 2,7 dans les études internationales.
Il est intéressant également de noter la proportion de professionnels formés à l’étranger. En Suisse 26 % des infirmières ont été diplômées à l’étranger (34 % des médecins). En Irlande, ce sont 43 % des médecins qui ont un diplôme étranger, en France 11 %. Les filières de formation sont donc à réfléchir de nouveau à l’issue des contraintes liées à la crise sanitaire.
Les modes de « consommations médicales » (nombre de consultation par patient) sont très disparates en Europe. Un patient français effectue en moyenne annuelle 6,1 consultations médicales. En Allemagne le chiffre est de 9,9 par an, soit 50 % de plus. Le minimum observé est en Suède avec 2,8.
En termes d’équipements diagnostiques, la France est en retard sur les moyennes OCDE concernant les scanner et les IRM avec respectivement 17 et 14 unités par million d’habitants contre 27 et 17 dans les pays de l’OCDE. Le Danemark est en Europe le plus équipé et plus largement, le Japon est en tête pour cet indicateur.
Concernant le nombre de lits d’hôpitaux, la Suède a la valeur la plus basse en Europe avec 2,2 lits pour 1 000 habitants, l’Allemagne est la « championne d’Europe » avec 8 lits. La durée de séjours hospitaliers est également très variable d’un pays à l’autre. La France affiche une valeur élevée en comparaison de la moyenne internationale avec une moyenne de 10 jours (7,7 en moyenne au sein de l’OCDE). Les Pays-Bas affiche la valeur la plus basse de 5,4 jours. La marge de progression française en termes d’hospitalisation de jour est donc importante.
La place de l’hospitalisation privée en Europe
20 % de l’offre hospitalière européenne sont gérés par des acteurs privés.
25.000 médecins exercent dans les hôpitaux privés allemands, avec des contrats salariés. Les 700 établissements privés prennent en charge 17 % de l’activité MCO du pays.
Les 575 établissements privés italiens prennent en charge 27 % de l’activité du pays. 12 000 praticiens y exercent avec un statut indépendant ou salarié.
468 cliniques espagnoles gèrent 32 % des lits (10 % des lits de réanimation sont privés) et soignent 12 millions de personnes (19 %). Elles pèsent 3,4 % du PIB. 50 % sont conventionnées. Les praticiens sont salariés ou indépendants.
L’hospitalisation privée portugaise détient 35 % de part de marché de l’hospitalisation. Les praticiens sont salariés ou indépendants. La majorité des cliniques sont conventionnées avec l’État, elles accueillent également les 20 % de la population assurée de façon privée.
33 % des établissements hospitaliers polonais sont privés ; de petite taille, ils gèrent 6 % des lits. La moitié est conventionnée avec l’État. Les 6 000 médecins y exercent souvent avec un statut mixte privé et public.
Crédits photos : Vincent Macher, privés