Dr Emmanuel RICARD, porte-parole et délégué au service de prévention et promotion du dépistage de la Ligue contre le cancer
Préoccupée par la baisse du taux de participation à la campagne de dépistage du cancer du sein d’octobre 2022, la Ligue contre le cancer a commandé, en août 2023, un sondage sur les femmes et le dépistage du cancer du sein.
Quels chiffres, quels enseignements en tirer ?
Les données du sondage corroborent la baisse du taux de participation à la campagne organisée de dépistage du cancer du sein soit 47,7 % contre 52 % en 2012. Le rattrapage qui a permis de dépasser les 50 % de participation à la suite du Covid ne s’est pas concrétisé en 2022. Les 11 % attribués au dépistage spontané individuel ne comblent pas le recul de la participation. Enfin, les chiffres de Santé Publique France indiquent une diminution du taux de participation dans toutes les régions. 12 % des femmes admettent n’avoir jamais participé à un dépistage, ce qui correspondrait à 1 million de femmes entre 50 et 75 ans pourtant invitées au dépistage organisé. Cela fait beaucoup.
Encore 8 % des femmes interrogées admettent ne pas se sentir concernées par le dépistage du cancer du sein et 7 % ne savent pas où il est possible de se faire dépister. C’est pourquoi, la Ligue concentre ses actions pour informer et accompagner ces femmes. L’Assurance maladie reprenant l’envoi des invitations au dépistage organisé, nous espérons que les femmes ne jetteront plus et considéreront cette invitation. Cependant des difficultés de compréhension du message subsistant pour certaines, un travail d’explication doit être poursuivi.
La baisse du taux de participation au dépistage s’accompagne d’une baisse du suivi gynécologique pour des raisons de désertification médicale et d’indisponibilité des professionnels de santé. Il est important de rappeler que les sages-femmes installées en libéral sont habilitées à assurer le suivi gynécologique, le dépistage et la vaccination. Elles ne sont plus cantonnées à la surveillance de la grossesse. Elles offrent une vraie alternative.
Les trois consultations de prévention que la Sécurité sociale aux trois âges de la vie : 25, 45 et 65 ans, devraient favoriser la culture du dépistage, de la vaccination et du suivi gynécologique pour notamment le cancer du col à partir de 25 ans, puis entre 50 et 75 ans le dépistage du cancer du sein.
16 % des femmes craignent la découverte d’un cancer lors du dépistage. Dans le suivi réalisé auprès des familles, la Ligue observe chez les personnes en situation de précarité une propension à la politique de l’autruche. Les ateliers destinés aux femmes et animés par la Ligue contre le cancer incitent à devenir acteur de sa santé et déjouer le fatalisme. Nous répétons que laisser croître le risque ou attendre les symptômes implique le risque de traitements compliqués, lourds et invalidants.
34 % des personnes interrogées disent ne pas se sentir concernées par la campagne de dépistage du cancer du sein. La philosophie : sans symptôme le dépistage n’est pas nécessaire, témoigne de l’incompréhension de l’essence du dépistage. Il ne prévient pas la maladie mais permet de la détecter plus tôt avec les meilleures chances de traitement et guérison. Le travail d’explication de la prévention doit être poursuivi. La Ligue doit aussi faire savoir qu’au-delà du dépistage, en cas de résultat positif les femmes ne sont pas seules face à la maladie. La Ligue dispose de ressources pour accompagner : psychologues, espaces de parole, ligne téléphonique dédiée.
La Ligue contre le cancer mène actuellement un programme expérimental de « mammo bus ». Ces véhicules se déplacent dans les quartiers isolés ou les territoires enclavés. Cependant, il est encore trop tôt pour évaluer si cette mobilité des équipements et des professionnels ramène des femmes vers le système de soins.
Enfin le contexte économique actuel pèse sur la campagne. Certes, le dépistage est gratuit mais tous les à-côtés – tels les frais de transport – comptent. Certaines femmes renoncent à la prévention pour des raisons financières.
Pour des raisons multiples, 10 % des femmes appréhendent de se dénuder devant un professionnel de santé. Est-ce une conséquence des débats engagés par #Metoo sur le consentement lors de l’examen gynécologique ? Nous rappelons que les professionnels recherchent des anomalies en observant et palpant. La poitrine est sexuée mais elle fait partie de la pratique clinique.
Enfin, 20 % des femmes ont peur d’avoir mal. Une mammographie peut être douloureuse mais le pincement qui peut générer cette douleur n’est pas infligée de gaîté de cœur. Ce n’est ni violence, ni malveillance mais des gestes inhérents à l’appareil.
Les équipes médicales doivent se mobiliser, expliquer et rappeler qu’il faut répéter l’examen tous les deux ans avec pédagogie et bienveillance. Il faut insister sur l’importance du suivi gynécologique et l’apprentissage de l’autosurveillance.