Fil Bleu N°8 du 28 mars 2025 – Dr Philippe Bergerot

Dr Philippe Bergerot, président national de la Ligue contre le cancer

Quelles sont les différentes formes d’inégalités identifiées dans l’accès aux soins et à la prise en charge des patients atteints de cancer ?

L’enquête que nous avons menée fin 2024 pour les 25 ans de la Ligue contre le cancer montre beaucoup d’inégalités et surtout un recul des droits acquis, c’est très inquiétant.

Nous constatons des inégalités dans l’annonce de la maladie : seuls deux tiers des personnes malades reçoivent une consultation d’annonce spécifique, alors que ce droit remonte au premier plan cancer. Le soutien psychologique et l’accompagnement social qui doivent être faits sont peu pris en compte : 51 % des malades interrogés n’ont pas été orientés vers un médecin du travail, un travailleur social…

Sur le plan social, la maladie cancéreuse creuse les inégalités, notamment économiques. Les personnes malades font face à des coûts supplémentaires alors que leurs revenus baissent en général : forfaits, franchises, déplacements sanitaires, soins de support, de confort… Même avec un emploi, 17 % des personnes malades peinent à prendre en charge les frais engendrés par la maladie. Selon la DREES, les restes à charge dits « visibles » sont estimés à 800 € pour les personnes en affection longue durée (ALD). Ceux dits « invisibles » s’élèvent à 1 447 € pour les personnes atteintes de cancer. Le renoncement aux soins est inéluctable face à l’impossibilité de faire face à ces coûts.

Les soins de support sont aussi révélateurs d’inégalités persistantes. Une enquête Ipsos de 2022 révèle que 24 % des malades du cancer ne sont orientés vers aucun soin de support dans leur parcours et que 19 % des personnes orientées y renoncent pour des raisons financières ou d’accessibilité géographique.

La première recommandation de votre manifeste sur les inégalités est « Rendre le dépistage des cancers accessible à toutes et à tous sur l’ensemble du territoire », quels sont les principaux freins au dépistage ?

Plusieurs facteurs entrent en jeu. Il y a des éléments culturels d’une part qui font que les pays du Nord de l’Europe par exemple sont plus enclins à se faire dépister que les Français. Par ailleurs, notre système de santé est tourné vers le curatif, si bien que la population est en général plus sensible aux soins qu’aux mesures de prévention. Ensuite vient l’accès aux soins. Une étude nationale sur registre a démontré que l’accessibilité à un médecin généraliste, rôle clé dans la participation au dépistage, a une influence sur la mortalité par cancer. Aujourd’hui, 11% de la population française vivent dans une commune où l’accès à un médecin généraliste est limité.

Bien que l’État finance des campagnes de prévention relatives aux dépistages organisés des cancers du sein, du côlon et du col de l’utérus, les actions menées sont encore trop peu structurées et n’ont pas les résultats escomptés. Le dépistage organisé du cancer colorectal avait un taux de participation de 34,6 % en 2021.

Les associations comme la Ligue contre le cancer viennent en appui à ces campagnes et contribuent à l’effort de sensibilisation et au déploiement des dépistages organisés. En ce sens, la Ligue contre le cancer place au cœur de ses actions celle de « l’aller-vers », une nécessité pour accéder aux réfractaires, personnes vulnérables ou éloignées du système de santé.

Quelles autres actions concrètes la Ligue contre le cancer propose-t-elle pour réduire ces inégalités, et comment comptez-vous impliquer les pouvoirs publics et les acteurs privés dans cette lutte ?

Nous sommes au mois de mars et comme pour la campagne Octobre Rose, la Ligue contre le cancer est très impliquée dans Mars Bleu. Réduire les inégalités signifie être présent sur le terrain.

Nous menons aux côtés de nos partenaires – établissements de santé, collectivités… – des opérations de prévention, d’information et de sensibilisation au dépistage organisé. La Ligue adopte une approche ludique et pédagogique, et l’élément phare de la campagne Mars Bleu est le côlon tour, la structure gonflable d’un côlon géant bien connue.

Partout sur les territoires, nous nous engageons et motivons tous les acteurs territoriaux à faire de même. Sur l’année 2024, nous avons mené plusieurs projets. La Ligue contre le cancer et l’Association des maires de France ont signé une convention de partenariat afin de contribuer ensemble à la lutte contre le cancer.

La Ligue a par ailleurs créé le label « Ma ville se Ligue » pour permettre le déploiement d’environnements favorables à la santé et de dispositifs de prévention auprès des collectivités territoriales, et plus particulièrement des communes.

Nous avons par ailleurs créé « Au fil de la Ligue : votre nouveau parcours d’accompagnement ! » pour aller vers les patients. Ce programme gratuit propose des espaces d’accueil, d’apaisement et de soutien implantés dans les établissements de soins et en ville, des chariots au sein des établissements de santé pour se rendre auprès des personnes malades, et des fourgons pour aller vers les territoires isolés et les moins dotés.

Crédit Photo : Jean Chiscano