Agnès VERDIER-MOLINIÉ, Directrice de la Fondation IFRAP (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques)
Quelle est votre position sur l’arrêt d’activité annoncée par les établissements de santé privés pour le 3 juin 2024 ?
La Fondation IFRAP est généralement très réservée face aux blocages de services publics par la grève. Bloquer les services essentiels que sont les transports publics, l’éducation ou la santé ne devrait pas être aussi récurent que ce que nous vivons en France.
Néanmoins, la situation actuelle, la revalorisation des tarifs dans le secteur privé de la santé 11 fois inférieure à ceux du secteur public, est totalement inédite. Cet arrêt d’activité serait très préjudiciable pour les patients et on ne peut que souhaiter qu’il soit évité. Cet appel à l’arrêt ressemble à un appel désespéré de tout un secteur dont l’équilibre économique est menacé. Une revalorisation équitable des tarifs entre l’hospitalisation publique et l’hospitalisation privée est nécessaire. La Fondation appelle depuis des années à ce que les tarifs soient identiques à actes identiques entre les deux secteurs, et à ce que les revalorisations soient aussi les mêmes chaque année.
Selon vous, comment sommes-nous arrivés à cette situation de blocage ?
Depuis 2013, les tarifs de l’hospitalisation publique ont été bien mieux revalorisés que ceux de l’hospitalisation privée. Mais les écarts de tarifs préexistaient. Par exemple, une prothèse de genou est financée 6 250 euros dans le public contre 4 796 euros dans le privé. Idem pour une prothèse de hanche, le financement s’élève à 7 400 euros pour le secteur public contre 6 035 euros pour le privé. La divergence progressive des tarifs a créé un déficit chronique et certaines cliniques sont menacées de faillite.
Par ailleurs, il se pourrait que le choix de revaloriser seulement de 0,4 % les tarifs de l’hospitalisation privée et de 4,4 % ceux de l’hospitalisation publique soit un arbitrage budgétaire sous-jacent. Tout déficit d’un établissement public pèse sur la dette globale de la France. Il est dommageable de faire porter à l’hospitalisation privée les difficultés liées au poids de la dette publique alors même que les cliniques et hôpitaux privés assument environ 30 % de l’activité avec 18 % des moyens.
Quelles pistes de réflexion propose l’IFRAP ?
Les établissements privés effectuent, à un coût moindre pour la collectivité, des missions de service public essentielles pour la nation. Selon une étude menée par la Fondation IFRAP, sans les hôpitaux et les cliniques privés, les missions du service public hospitalier coûteraient entre 4 et 5 milliards d’euros de plus par an. Sous-doter notre hospitalisation privée n’est pas un bon calcul car les hôpitaux publics ne pourraient en aucun cas absorber l’activité des cliniques.
Dans mon dernier ouvrage : Où va notre argent, paru en 2023, j’insiste précisément sur l’incapacité du pouvoir central à comparer et à évaluer le coût, l’efficience et la qualité de nos services publics. Nous sommes très en retard en la matière. Ouvrir les données, classer et comparer nos services publics notamment dans la santé permet de donner une meilleure information à la fois aux patients et aux citoyens. Alimenter les oppositions entre secteur public et secteur privé, comme avec cet écart sur la revalorisation des tarifs hospitaliers, est stérile.
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