1,2, 3 Questions – Norbert IFRAH

Norbert IFRAH,
Président de l’Institut national du cancer (INCa)

Que pensez-vous de l’annonce faite par Emmanuel Macron de mettre en place dans les collèges une campagne de vaccination généralisée pour éradiquer le papillomavirus ?


Nous sommes à l’Institut national du cancer extrêmement favorables à cette démarche du président de la République. Nous avions d’ailleurs beaucoup plaidé pour ça. Les papillomavirus sont des carcinogènes démontrés, très au-delà même du simple cancer du col de l’utérus. Juste pour donner une idée : il y a à peu près 200 papillomavirus dont 40 localisés sur la sphère génitale et une quinzaine qui sont cancérigènes. Entre 80 et 90 % des personnes y sont confrontées au cours de leur vie, et environ 60 % au cours des premiers rapports sexuels. Notre système immunitaire spontanément en tue entre 80 et 90 % mais s’il ne les tue pas, au bout de quelques mois, apparaissent des infections de type végétations vénériennes qui peuvent être très douloureuses et invalidantes. Et puis au bout de cinq-six ans, apparaissent des lésions pré-cancéreuses dans le col utérin notamment. Le cancer lui-même met en général une vingtaine d’années à apparaître. Aujourd’hui en France, on diagnostique chaque année 6 400 cancers liés aux infections HPV (infections à papillomavirus humains) : cancers de la vulve, du vagin, de l’anus, du pénis… dont 2 900 cancers du col de l’utérus. Ce dernier cause 1 100 décès par an et depuis les années 2000, les chiffres augmentent de manière significative car plus la peur du sida recule, moins les gens se protègent. Alors oui, nous sommes très enthousiastes à l’annonce d’Emmanuel Macron.

Le vaccin est-il efficace ?

On disposait du Cervarix, un vaccin qui protégeait contre deux souches, les HPV 17 et 18. Alors certes, cela représentait 70 % des cancers, mais ce n’était que deux souches. Et le Gardasil couvrait dans sa première génération, quatre infections à papillomavirus humains (HPV). Aujourd’hui, les nouvelles versions couvrent neuf valences ! C’est évidemment une avancée importante. Et en Australie, aux USA, au Canada et dans les pays du nord de l’Europe où on utilise ces vaccins depuis six-sept ans, les lésions précancéreuses de haut grade ont disparu chez les personnes vaccinées. Des études montrent que l’association des deux doses devrait permettre de faire disparaître ce cancer. Et probablement aussi d’ailleurs les autres cancers HPV induits.

Quels sont les chiffres de la vaccination en France et en quoi le vaccin à l’école constituerait-il une avancée ?

Rappelons que la vaccination est recommandée aujourd’hui aux filles et aux garçons de 11 à 14 ans avec un rattrapage possible de 15 à 19 ans. Elle est aussi recommandée aux hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes jusqu’à 26 ans. En France, elle a démarré d’une manière assez lente. D’abord, parce qu’elle était limitée aux jeunes filles jusqu’au 1er janvier 2021, et ensuite parce que nous ne disposions pas de vaccins très couvrants. Aujourd’hui, avec l’amélioration du vaccin, les chiffres vont dans le bon sens. Les gens aussi ont compris qu’il fallait vacciner les garçons. Et sur ce point, il faut être très clair : on ne vaccine pas les garçons pour protéger les filles. On vaccine les garçons pour protéger les garçons et on vaccine les filles pour protéger les filles. Et il se trouve que la vaccination des deux est synergétique. Pour revenir aux chiffres, en 2016, 21 % des filles avaient reçu deux doses et en 2021, 37 %. Ces deux dernières années, on a gagné pratiquement 5 % tous les ans, avec de grandes disparités toutefois selon les régions. Les territoires les mieux vaccinés sont la Bretagne et les Pays de la Loire, avec 56 % de la population fille qui a reçu une dose, et 48 % deux doses. Les moins vaccinés sont la Martinique et la Guadeloupe, et l’Île de France figure parmi les mauvais élèves, comme souvent, avec 30 % de vaccination à deux doses. Proposer la vaccination gratuite au collège est vraiment un très grand facteur de lutte contre les inégalités sociales et territoriales. Et elle ne devrait pas rencontrer d’opposition majeure des parents. Il y a quelques années, une étude de Santé Publique France avait montré qu’ils n’avaient pas de réticence vis-à-vis de ce vaccin. Ils ne faisaient pas vacciner systématiquement leur(s) enfant(s) juste parce qu’ils n’y « pensaient pas » ou qu’ils avaient « autre chose à faire ». L’école se proposera donc d’y penser à leur place et avec eux.