Dr Sophie Bonnet, pédiatre à la Clinique Rive Gauche à Toulouse, et Dr Olivier Jourdain, gynécologue obstétricien à la Polyclinique Jean Villar à Bruges.
Suite à la publication du Rapport Euro-peristat, Réponses croisées
Est-ce que les résultats de cette étude vous surprennent ?
Dr Olivier Jourdain
Le premier intérêt du rapport Euro-peristat est de disposer de chiffres précis destinés à l’analyse de la mortalité périnatale en France et en Europe. Les chiffres français sur les taux de mortalité néonatale et infantile n’y figurent pas* ce qui est à mon sens assez choquant. Pour progresser, il faut que l’on soit capable de produire des chiffres précis, au-delà de la mortalité périnatale en général, en distinguant l’âge du nourrisson ou de l’enfant, car les causes et les solutions ne sont pas les mêmes. C’est un enjeu majeur. Dans les années 2000, des efforts d’analyse de la mortalité maternelle ont permis de diviser par plus de 2 le nombre de décès maternels. Sur le thème de la mortalité infantile, nous devons émettre des hypothèses, explorer des pistes telles que l’âge maternel, les pathologies associées (diabète, obésité, HTA, …) mais il faut également questionner l’organisation du système de soins, la prévention, sans oublier la dimension psycho sociale. On peut citer en exemple notre gradation des soins qui s’est accompagnée comme cela était prévisible d’une réduction de l’offre.
Nous enregistrons une baisse du taux de césarienne et il faut s’en réjouir, toutefois il faut être prudent dans l’interprétation de ce chiffre s’il est décorrélé des autres indicateurs.
Dr Sophie Bonnet
La France, classée au 20e rang sur 28, se place en position de fragilité du fait d’une forte mortalité périnatale pour les enfants nés à un âge gestationnel supérieur à 24 semaines d’aménorrhée. Du fait des progrès réalisés dans la surveillance médicale et paramédicale de la grossesse : médicalisation de l’accouchement, sécurisation des accouchements physiologiques par la création des maisons de naissance, amélioration des performances médicales et paramédicales en réanimation néonatale, efficience du parcours patient au sein des maternités… La France devrait enregistrer une diminution de sa mortalité périnatale. Il est difficile d’expliquer ces mauvais résultats par des hypothèses comme l’âge de la mère, le taux de gémellité ou les chiffres de la prématurité. Les réponses sont peut-être à chercher dans les arbitrages en matière de politique de santé publique, les particularités sociologiques de notre population (immigration d’une population obstétricale en situation de précarité psychosociale) ou la démographie dans certains DOM.
Quelles mesures doit-on mettre en œuvre pour améliorer la position de la France ?
Dr Olivier Jourdain
La démarche des « 1 000 premiers jours » avec ses objectifs de prévention, initiée en période prénatale, peut certainement participer à la réponse. L’entretien prénatal précoce obligatoire est très intéressant car il est psychosocial et médical. Cependant environ 40 % des femmes n’en bénéficient pas. Celles qui en ont le plus besoin y ont-elles accès ? Et puis, a-t-on les moyens et les structures pour une prise en charge efficiente des parturientes dépistées lors de cet entretien ?
Dr Sophie Bonnet
La prévention pour améliorer le suivi de grossesse et le soutien à la parentalité engagée depuis plusieurs années vise à mieux accompagner le couple et l’enfant à naître. Le développement des réseaux de périnatalité a pour but d’harmoniser les pratiques obstétricales et pédiatriques afin de sécuriser la mère et l’enfant dans cette période à haut risque. Les difficultés actuelles de recrutement en ressources humaines (gynécologues obstétriciens, anesthésistes, sages-femmes, pédiatres, auxiliaires de puériculture, puéricultrices …) impactent certainement le système. Les maternités peinent à recruter leur personnel pédiatrique et la salle de naissance pourra être bientôt considérée comme un désert médical tant en zone rurale qu’urbaine.
Espérons que le plan gouvernemental des 1 000 premiers jours accompagnera efficacement les futurs parents. La généralisation de l’entretien prénatal du 4e mois et l’intégration de l’entretien postnatal précoce, obligatoire depuis le 1er juillet 2022, permettent l’identification des situations psychosociales à risque et les couples mère-enfant vulnérables. La Clinique Rive Gauche mobilise ses sages-femmes sur l’entretien post natal qui se doit d’être sécurisant pour les jeunes parents et permettre un repérage des situations à risque.
Les services de protection maternelle et infantile (PMI) ont été paralysés par la pandémie Covid. Ils doivent à nouveau déployer leur réseau pour assurer leur mission de soutien à la parentalité. Auprès des médecins, les formations et des outils de repérage précoce de la dépression du post partum ont été diffusés via le questionnaire alarme détresse bébé (ADBB) pour une prise en charge rapide des troubles de la relation mère-enfant.
Comment optimiser le travail des équipes dédiées à la naissance afin d’améliorer la prise en charge sanitaire et sociale des parturientes ?
Dr Olivier Jourdain
Il faut certainement mieux cibler les bénéficiaires des dispositifs de prévention, améliorer les prises en charge d’aval. Il faut s’interroger sur l’accès aux soins et la concentration de l’offre. Dans plus de 50 % des départements français, il n’y a plus de maternité privée alors que l’émulation et la présence de systèmes de soins parallèles stimulent l’offre de qualité. À l’étranger, les chiffres – de systèmes de santé organisés différemment du nôtre – sont satisfaisants. Il ne faut pas s’interdire d’aller voir ce qui se fait ailleurs.
Dr Sophie Bonnet
Dans les situations identifiées comme à risque ante ou postnatal, la coordination entre les professionnels de santé de la périnatalité doit être favorisée pour une stratégie cohérente et sécurisée au cours de cette période. Les équipes périnatales sont malheureusement réduites et fréquemment mutualisées sur plusieurs sites, ce qui rend leur mission de coordination délicate. La crise pédiatrique actuelle fait écho à cette désorganisation du soin périnatal. Comme la pandémie de Covid a bouleversé le système de soin adulte français, la violente épidémie actuelle de bronchiolite à VRS dévoile la vulnérabilité de notre système de soin pédiatrique. Que penser d’un pays développé qui sacrifie ses enfants alors qu’ils feront la France de demain ?
* Pour ce rapport, les données ont été collectées selon un nouveau protocole qui garantit une harmonisation des définitions entre pays mais qui impose de fournir les données à partir d’une seule source. Les données françaises proviennent des statistiques hospitalières (ou PMSI). Cette source, disponible chaque année, permet d’avoir des indicateurs fondés sur la totalité des naissances annuelles. Cependant, cette source n’inclut pas tous les indicateurs principaux demandés par l’Euro Peristat, notamment la mortalité néonatale et la mortalité infantile, qui sont recueillies par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Ainsi, la France figure parmi les 8 pays sur 28 qui n’ont pas pu fournir les données sur la mortalité néonatale avec le protocole spécifique utilisé pour produire le rapport.