1,2, 3 Questions – Elisabeth TOME-GERTHEINRICHS

Elisabeth TOME-GERTHEINRICHS, ancienne déléguée générale de la FHP, ancienne DGA responsable du pôle social au Médef, fondatrice d’ETG-conseil au 1er novembre 2022

Vous quittez le Medef après 5 années en tant que directrice générale adjointe, avez-vous vu le monde de l’entreprise changer ?

Le Medef représente tous les secteurs d’activité économique et radiographie la France à 360°. C’est un observatoire unique des entreprises qui sont désormais parties prenantes, de gré ou de force, de toutes les grandes questions qui traversent notre pays.

Quand Geoffroy Roux de Bézieux a été élu en 2018, il a proposé la nouvelle raison d’être du Medef : Agir ensemble pour une croissance responsable. « Agir » signifie prendre ses responsabilités, « ensemble » indique combien l’entreprise est corrélée au reste du monde, et combien nous sommes dans une logique de responsabilité sociale et sociétale.

Le positionnement de l’entreprise dans le monde d’aujourd’hui est revisité. L’entreprise est un agent économique mais aussi un agent politique et social. On le voit sur la transition écologique, les augmentations de salaires ou la sécurité au travail. Progressivement se met en place un capitalisme « raisonné », décarboné. C’est la croissance responsable. Parce que la place des entreprises change, les organisations patronales évoluent : j’ai par exemple proposé au Medef la création d’un comité santé, une commission jeunesse, et une cellule sur les nouveaux enjeux sociaux qui s’est intéressée notamment à caractériser la nouvelle relation au travail. Nouvelles attentes, relation au travail totalement nouvelle… Oui les choses changent et les entreprises aussi, sur fond de problèmes chroniques, recrutement, formation…

Quels changements observez-vous dans les entreprises en santé ?

L’hospitalisation privée dispose de tous les atouts. Elle a quasi systématiquement un coup d’avance sur l’innovation, sur l’organisation, sur l’utilisation efficace de l’argent public, sur la capacité à s’interroger et à se remettre en question. Les cliniques ont l’ADN entrepreneurial. Ce qui caractérise la période qui s’ouvre, ce sont toutes les difficultés conjoncturelles : inflation, approvisionnement énergétique… tout cela est lié aux priorités politiques nationales et internationales qui vont impacter, dans des proportions que l’on ne sait pas identifier, le monde entrepreneurial en général, mais le monde des cliniques privées en particulier, par exemple en ce qui concerne la sobriété et les ambitions énergétiques.

Au-delà de ces données conjoncturelles, des difficultés bien identifiées risquent d’être renforcées : l’hôpital public est clairement en état de délabrement. La tentation est grande de voler au secours de l’hôpital public qui reste le grand favori des pouvoirs publics et de traiter ensuite, mais ensuite seulement, les cliniques. Les combats pour l’égalité de traitement financier ne sont pas derrière nous et vos lecteurs le savent au quotidien. J’ai beaucoup travaillé avec les partenaires sociaux pendant ces 5 ans (nous avons signé 11 accords interprofessionnels sur des sujets aussi divers que la formation, la santé au travail et le télétravail), mais malheureusement, sur ces sujets, ils ont métabolisé le fait que la santé est d’abord une affaire publique. L’hospitalisation privée a fait du chemin mais il faudra toujours se battre pour être traité à égalité. Sur les différentes batailles en question, le choix du public s’exprime d’abord. Ce n’est pas nouveau, nous n’avons pas gagné la question du service public hospitalier, c’est-à-dire l’accès de droit au service public hospitalier. Personne n’est revenu là-dessus et cela reste un grand handicap.

Comment voyez-vous évoluer l’hospitalisation privée ?

Comme un secteur d’activité qui a, je l’ai dit, de nombreux atouts. Mais qui était mal connu. Quand je suis arrivée à la FHP (déjà 10 ans), il me semblait qu’il fallait parvenir à réunir les différents mondes car le secteur privé commercial était mal perçu du côté du secteur public dont je venais, et avait un crédit limité dans les couloirs des cabinets ministériels. Cela a beaucoup et positivement évolué. Il n’en demeure pas moins que l’hospitalisation privée est un peu orpheline sur les questions qui concernent la partie entrepreneuriale de son activité. La partie santé est réglementée mais le ministère de la Santé ne connaît pas toute la partie entrepreneuriale qui caractérise l’hospitalisation privée. D’un autre côté, les ministères qui travaillent habituellement avec l’entreprise (travail, finances et comptes publics), renvoient volontiers les questions spécifiques de l’hospitalisation privée au ministère de la Santé. C’est compliqué.

Mais j’ai pu voir au Medef que les lignes bougeaient. La crise du COVID et la place occupée et revendiquée par le secteur hospitalier privé y est pour quelque chose. L’hospitalisation privée dans ses différentes composantes a énergiquement pris les choses en main.

Il est évident pour tous aujourd’hui, institutions et ministères, que L’hospitalisation privée est une grande fédération qui représente des entreprises dont l’objet social, d’intérêt général, est socialement et économiquement essentiel et représente 40 % des soins aux Français.

Dans le contexte de crise de l’hôpital public, il est essentiel de connaître toutes les ficelles des financements auxquels elles sont éligibles. Il faut continuer à regarder de près comment se différencier en accédant prioritairement à des innovations qui sont souvent pensées comme étant prioritaires pour le secteur public. Projet par projet, arriver à faire bouger les lignes en fonction des interlocuteurs, pour obtenir du sur mesure dans le cadre de projets plus généraux. C’est un travail sans fin mais c’est un travail qui paie. Pour avoir pendant 5 ans côtoyé toutes les fédérations qui siègent au Medef, sur tous les secteurs d’activité, je crois pouvoir dire qu’au lendemain de la crise sanitaire que nous avons connue, l’énergie et le dynamisme de l’hospitalisation privée, dans ses différentes composantes, lui donnent une place particulière et des alliés de poids. Je reste, vous le voyez, confiante et engagée, au service des cliniques et hôpitaux privés.

Vous avez quitté le Médef, quel est votre projet professionnel aujourd’hui ?

Je souhaite mettre mon expérience et mes acquis au service des entreprises et des organisations qui jugent que je peux leur être utile. J’ai d’ores et déjà créé ma société de conseil et ai par ailleurs engagé les démarches permettant d’accéder à la fonction d’avocat. C’est pour moi une autre façon de mettre en œuvre les mêmes engagements qui m’ont animée jusqu’alors.