André CICOLELLA, président du Réseau Environnement Santé (RES)
Comment la santé doit-elle s’inscrire dans l’ensemble des crises que nous vivons actuellement : sanitaire, écologique… ?
Il faut considérer la crise sanitaire comme la quatrième crise écologique, au même titre que le climat, la biodiversité, l’épuisement des ressources naturelles, qui ont tout autant un impact sur la santé des populations. La crise sanitaire est une composante de la crise écologique et non pas un sous-ensemble ou une variable d’ajustement des autres crises. Il faut traiter la crise sanitaire à ce niveau-là.
Il n’a pas fallu attendre l’épidémie de Covid pour se rendre compte que la biodiversité est intrinsèquement liée aux questions de santé, avec notamment les zoonoses qui ont un impact considérable parce que les populations humaines sont fragiles et fragilisées par les déséquilibres environnementaux.
L’impact environnemental sur les maladies se retrouve d’ailleurs dans les statistiques : les Parisiennes ont deux fois plus de risques de développer un cancer du sein que les Japonaises par exemple, au Bhoutan, le rapport est même de 1 à 20 (données standardisées). Pour le cancer de la prostate, le ratio est de 1 à 100 ! (Paris 114). Donc oui l’environnement est déterminant et les données de santé traduisent ces crises et les dérèglements.
Le nombre des maladies chroniques augmente, quelle est la place réservée à la santé environnementale ?
La fragilité des personnes atteintes de maladies chroniques avec des comorbidités importantes a été flagrante durant la crise Covid. Les affections chroniques étaient quasiment toutes associées à des risques accrus d’hospitalisation pour Covid-19 et de décès à l’hôpital, parfois 2 à 3 fois plus élevés. Les personnes atteintes de trisomie 21 ont eu un risque d’hospitalisation en cas d’infection multiplié par 7, et 23 fois plus de risque d’en décéder.
Il nous faut une politique de santé environnementale forte pour réduire le poids des maladies principalement chroniques, qui pèsent beaucoup sur notre système de soins. Pour cela il faut avoir une vision d’ensemble, étant donné que des facteurs interagissent entre eux. L’exposome, c’est-à-dire la totalité des expositions à des facteurs extérieurs et environnementaux non génétiques que subit un organisme humain de sa conception à sa fin de vie, va avoir une incidence sur sa santé. Le rapport de la Cour des comptes sur la santé des enfants publié en décembre 2021 montre bien que les inégalités sociales et territoriales ont un impact sur la santé des enfants et les maladies chroniques de type asthme, obésité… La pauvreté n’est pas un facteur de bonne santé et à cela s’ajoutent des facteurs de comportements individuels, de même le lieu de vie…
La santé sanitaire est mieux mesurée aujourd’hui. Comment peut-on placer la santé environnementale dans le radar de tous les professionnels de santé et au cœur des politiques publiques ?
La santé environnementale est la réponse à la crise sanitaire, il faut en prendre conscience. Soigner les populations malades est une évidence, mais agir sur les comorbidités et autres maladies chroniques est un enjeu stratégique. Cela se construit sur la durée et pour cela, la santé environnementale a besoin de faire une synthèse de toutes les connaissances scientifiques pluridisciplinaires, qui devront être traduites en objectifs politiques. Pour le climat, c’est ce que le GIEC a fait. La santé environnementale se heurte à de nombreux sceptiques. Le programme HERA, financé par la commission européenne, a commencé ce travail. Par contre, si la société civile ne le reprend pas, ce rapport risque de rester sur les étagères, donc il faut agir.
Dans cet esprit, le RES a lancé l’appel à la création d’un « GIEC de la santé environnementale » le 19 mars 2022 à Grenoble, en partenariat avec la ville de Grenoble, capitale verte européenne 2022. Une rencontre internationale entre scientifiques internationaux, ONG et responsables politiques à l’occasion de la célébration du 30e anniversaire de la conférence de Wingspread (1991) qui a vu la naissance du concept de « perturbateur endocrinien ». L’objectif est d’établir une synthèse des connaissances scientifiques et éclairer les décisions publiques. La France est d’ailleurs devenue le pays le plus avancé au monde dans ce domaine avec une stratégie nationale perturbateurs endocriniens, qui fait bouger les lignes au niveau européen.
Au niveau institutionnel, les choses sont en train d’évoluer. Le rapport de l’OMS et du PNUE sorti en 2012, réactualisé tous les 10 ans, plaçait déjà les PE comme une menace. En 2021, deux rapports parlementaires sur la santé environnementale sont sortis : Le rapport d’enquête de Mme Sandrine Josso pour l’Assemblée et celui de Bernard Jomier pour le Sénat. D’autres rapports ciblés sur les PE, le plastique… montrent qu’au niveau politique, on est en train de s’approprier cette réflexion.
Le RES et le Collectif interassociatif pour la santé environnementale (CISE), animé par une cinquantaine d’associations, plaident pour la création d’un ministère de la santé environnementale.