Pr Norbert IFRAH, président de l’Institut national du cancer (INCa)
Quelles sont les recommandations de l’Inca pour Mars Bleu ?
Pour l’INCa, le mois de mobilisation contre le cancer colorectal est extrêmement important. Avec 43 300 nouveaux cas détectés par an, le cancer colorectal est, chaque année, le deuxième cancer le plus fréquent en nombre de cas. Il affecte presque autant les femmes (20 100 nouveaux cas/an) que les hommes (23 300 nouveaux cas/an). Nous soutenons ce mois de mobilisation et les actions menées partout en France, d’autant plus que l’adhésion de la population au dépistage de ce cancer, pourtant indolore, sans danger et efficace, n’est pas satisfaisante. Il faudrait au minimum que la participation de la population concernée (les femmes et les hommes de 50 à 74 ans sans symptômes ni facteurs de risque) atteigne 45 % ; elle n’est que de 35 % aujourd’hui.
Le cancer colorectal bénéficie d’un dépistage performant qui permet de détecter la maladie à un stade précoce. Et lorsqu’un cancer colorectal est ainsi diagnostiqué à un stade précoce, 90 % des patients sont en rémission complète à 5 ans. Ce pourcentage chute à 20 % lorsque le cancer est détecté à un stade avancé. D’où l’importance d’un dépistage régulier tous les 2 ans. Enfin, dans 40 % des cas, suite à un test positif, l’examen complémentaire (une coloscopie) détectera un adénome encore bénin éliminé par un geste simple, le plus souvent dans le même temps endoscopique, avant qu’il se soit transformé en cancer.
L’Institut national du cancer et les pouvoirs publics, avec l’appui de l’ensemble des acteurs impliqués dans la lutte contre les cancers : les fédérations hospitalières, les associations comme la Ligue contre le cancer, agissent pour améliorer la confiance et la connaissance par la population de ce test. Depuis le 1er mars de cette année, en plus des professionnels de santé habituels, chacun peut recevoir directement le test de dépistage chez soi en le commandant sur le site monkit.depistage-colorectal.fr. Et il sera également bientôt disponible chez son pharmacien.
Quels sont les grands enjeux, nationaux, européens de la lutte contre le cancer ?
Au niveau européen, 2,7 millions de nouveaux cas de cancers sont enregistrés tous les ans et 1,3 million de personnes en décèdent. En France, nous comptons un peu plus de 1000 nouveaux cas par jour soit 382 000 cancers par an. Le vieillissement et l’augmentation de la population font que nous devrions dépasser les 400 000 nouveaux cas et les plus de 157nbsp000 décès par an (décès actuellement enregistrés chaque année). La meilleure réponse à ces chiffres est la prévention et l’amélioration des diagnostics précoces : deux priorités de la stratégie décennale en France partagées dans le plan cancer européen.
La prévention est une priorité. Nous savons que 40 % des cancers pourraient être évités en adoptant des comportements simples comme l’arrêt absolu du tabac, une diminution de la consommation d’alcool, une activité physique régulière, une alimentation variée et équilibrée comme manger suffisamment de légumes et de fruits, en évitant la surconsommation de produits transformés ou carnés, en protégeant nos enfants du soleil. Pourtant 2 Français sur 3 sont encore persuadés que le cancer est une fatalité. C’est pourquoi la France et l’ensemble de l’Europe s’engagent dans le développement d’une information contre les idées reçues et les discours hostiles à toutes recommandations.
Les progrès européens bénéficient à tous et l’Institut national du cancer participe au programme européen « Comprehensive Cancer Center », favorable à une action interdisciplinaire et interprofessionnelle de la lutte contre les cancers.
Prenons l’exemple du cancer du col de l’utérus ; il est le seul cancer en France pour lequel le pronostic s’aggrave pour des raisons liées notamment à la virulence du virus ou à un diagnostic tardif. Pourtant les pays du nord de l’Europe sont en train d’éradiquer ce cancer par l’association du dépistage et de la vaccination. La France doit s’inspirer de ce modèle. Nous réfléchissons à ouvrir la voie à d’autres dépistages de cancers comme celui du poumon.
La lutte contre les séquelles est aussi un sujet prioritaire. Car si 60nbsp% des malades guérissent (plus de 80nbsp% des enfants), ils doivent faire face à des séquelles liées à la maladie ou aux traitements. La stratégie décennale a inscrit la lutte contre les séquelles comme une priorité et de nombreuses actions sont développées pour permettre une amélioration de la qualité de vie de l’ensemble des personnes.
A-t-on une évaluation du retard de la prise en charge du cancer du fait de la crise Covid ?
L’ensemble des médecins et des organismes de lutte contre le cancer s’est mobilisé dès le début de la crise sanitaire afin d’en atténuer les effets mais il faudra des années pour en mesurer l’impact. Pendant la 1re vague, il y a eu un arrêt transitoire mais brutal du dépistage, des personnes ont retardé leur prise en charge par crainte d’une contamination, les équipes médicales appelées à d’autres soins liés à la pandémie n’étaient pas toujours disponibles. Nous avons, avec la DGOS, les ARS, les établissements de soins, les sociétés savantes et dans un cadre de coopérations internationales, proposé au cas par cas un programme thérapeutique adapté à la situation de chacun. Parfois, nous avons opté pour la chimiothérapie avant la chirurgie, parfois la radiothérapie a été privilégiée et la chirurgie reprogrammée afin de limiter l’exposition au risque épidémique. Toutes ces décisions, partagées collégialement, étaient indispensables pour assurer la continuité des soins des patients et éviter les pertes de chance.
D’un point de vue mathématique, il y a eu une réduction de 15 à 30nbsp% des endoscopies et des actes chirurgicaux pendant la seule première vague. La reprise s’est faite sans récupérer le retard mais ces patients n’ont pas tous été perdus de vue, ils ont été traités autrement. Nous avons notamment vu une coopération remarquable et parfois nouvelle entre les établissements publics et privés ; tout ce qui pouvait être fait l’a été.