Dr François ESCAT, président du SNUHP (Syndicat national des urgentistes de l’hospitalisation privée)
Qu’observez-vous depuis la mise en œuvre de la forfaitisation des urgences non suivies d’hospitalisation ?
La réforme du financement des urgences entrée en vigueur le 1er janvier 2022 remplace, sous couvert de rationalisation et de simplification, le paiement à l’acte par un forfait au patient, indexé sur l’âge et le mode d’entrée aux urgences (ambulance ou non), et faiblement majoré selon la gravité ou le moment de la prise en charge.
La facturation des actes NGAP et CCAM en lien avec le GHS facturé par l’établissement était déjà pour les urgentistes privés une cote mal taillée. Aujourd’hui, la forfaitisation des urgences non suivies d’hospitalisation en est une autre, car elle crée des inégalités de rémunération entre l’urgentiste et d’autres confrères libéraux appelés à intervenir en urgence ou pour avis, généralement des cardiologues ou des radiologues. En effet, la nouvelle nomenclature ne s’applique qu’aux patients externes (ex ATU), et dès lors qu’un patient arrivé aux urgences est hospitalisé en service conventionnel ou en UHCD (Unité d’hospitalisation de courte durée), le système de facturation rebascule sur le système antérieur NGAP, CCAM. S’il y a un retour à domicile, l’acte du confrère spécialiste est minoré, si le patient est hospitalisé ou placé en UHCD, c’est celle de l’urgentiste qui baisse, indépendamment des soins et du temps passé auprès du patient. Cette situation est source de conflits et surtout démotivante pour les professionnels.
Nous en avons parlé à la DGOS, et des ajustements devraient être faits pour 2023 pour les praticiens libéraux des cliniques privées, les urgentistes et spécialistes hospitaliers étant salariés, donc non concernés.
Dans quelle mesure les pénuries de personnels soignants impactent l’activité des urgences ?
Le problème majeur est la pénurie et la fuite de nos personnels infirmiers des services d’urgences. Ils sont mal payés et la charge de travail devient à la limite du soutenable. Ils sont irremplaçables, non interchangeables, se sont formés sur le tas étant donné qu’il n’y a pas de formation spécifique, ils savent tout faire… et sans eux, rien ne fonctionne. Beaucoup démissionnent, épuisés, et s’installent en libéral où ils gagnent mieux leur vie. Avoir un poste d’infirmier 24/24 et 7/7 représente 5,5 ETP (équivalent temps plein), un poste de dépense conséquent soit, mais nécessaire. Globalement, dans la plupart des services d’urgences, nous sommes au bout des optimisations organisationnelles que l’on exige de nous, et à part diminuer l’activité, nous n’avons pas beaucoup d’autres solutions pour faire face.
Les urgences souffrent-elles toujours autant de la situation sanitaire ?
L’activité des urgences a tourné un peu au ralenti pendant les périodes de confinement, avec étonnamment peu d’infarctus du myocarde, d’appendicites… mais l’afflux est redevenu normal, voire a augmenté. Actuellement, nous avons des tableaux cliniques que nous n’avions plus vu depuis 20 ans, des pathologies carcinologiques installées, etc. Globalement, la tension et la charge de travail ont augmenté du fait des mesures Covid. Nous continuons à appliquer tous ces protocoles sans bras supplémentaires.
La logique comptable des services d’urgence, publics comme privés, a repris ses droits comme avant la crise. Avec les pénuries de personnels que nous connaissons, nous allons au-devant d’une catastrophe programmée et annoncée.