Recueil de récits
La lutte contre la Covid-19 nous rassemble. Au regard de son écosystème, chaque établissement de santé trouve les solutions pour faire face à cette deuxième vague épidémique. Autant de situations riches d’enseignement pour tous, et aussi, une manière de vous rendre hommage !
Semaine 51 : RETEX de 3 directions d’établissements de santé.
Patrick Serrière, président de la FHP Île-de-France
Nous avons tous progressé dans la maÎtrise de l’épidémie
L’ARS nous a alertés dès les prémices de la deuxième vague et a mis en œuvre différents paliers de déprogrammation que nous avons franchis collectivement au fur et à mesure de la montée en puissance de l’épidémie. Chaque établissement devait donner ses capacités de prise en charge Covid en soins critiques et en hospitalisation traditionnelle, corrélées au niveau de déprogrammation défini par le palier. Ainsi, le palier 1 signifie une activité normale, le 2 une déprogrammation de l’ordre de 20 à 30 %, le 3 une déprogrammation de 50 à 60 % , et le 4 de 80 %. Ces retours colligés par l’agence étaient ensuite diffusés en toute transparence à tous les établissements, tous les jours. Nous frôlions le palier 4 quand le nombre de patients hospitalisés a commencé à décroître.
Cette organisation transparente et fluide a bien fonctionné, dans le respect de tous et selon une équité de traitement. Nous avons ainsi vu qu’à chacun des paliers, l’hospitalisation privée a pris en charge environ 20 % des patients atteints de la Covid en soins critiques ou en service de médecine en Île-de-France.
Dans tous les établissements, les CME ont été aux aguets et ont été consultées pour définir de façon collégiale et médicale les activités prioritaires que l’établissement pouvait exercer. Le gouvernement a tiré les leçons de la première vague en donnant des consignes aux ARS de limiter le plus possible les déprogrammations. La difficulté reste qu’un grand nombre de patients dont les soins ont déjà été reportés, se voient à nouveau pénalisés.
Nous sommes aujourd’hui en palier 2 mais la décrue se transforme malheureusement en plateau, et nous craignons un redémarrage de l’épidémie après les fêtes. Nous pressentons une troisième vague moins forte en volume et sans doute moins délicate à gérer de par notre expertise accrue et des avancées médicales – la DMS moyenne s’élève à 10 jours quand en soins critiques elle dépassait les 15 ou 20 jours au printemps, grâce notamment à l’oxygénothérapie. Notre niveau de connaissance de l’épidémie est supérieur et il n’y a pas d’effet de surprise. Tous les établissements, quels qu’ils soient, ont fait preuve d’un grand professionnalisme et ont mieux maîtrisé cette deuxième vague. Nous attendons désormais le calendrier précis de vaccination.
Stéphane Tulipani, président du Pôle Santé Oréliance, Saran (45)
L’épidémie a beaucoup changé les mentalités
L’organisation des soins Covid s’est déroulée comme nous l’avions collectivement prévu : durant la 1re vague, le CHR d’Orléans (CHRO) et le CHU de Tours étaient les deux centres référents de 1re ligne Covid en soins critiques et en hospitalisation, nous transférant en retour les soins urgents. À l’automne, nous avons chacun pris en charge nos patients Covid et les transférions au CHRO dès lors qu’ils nécessitaient une réanimation.
Nous avons eu la chance d’être moins impactés et assez tardivement par l’épidémie au printemps ; à l’automne, nous sommes progressivement montés en charge. Les établissements de santé ont joué le jeu au sein d’une gestion territoriale très fluide. Personnels et équipements, la coordination était parfaitement organisée entre les établissements.
Pour notre part, nous avons ouvert une unité dédiée à la Covid de 30 lits qui s’est rapidement remplie. Dans les services de chirurgie ou de cardiologie, nous disposons de chambres en isolement individualisé Covid. Nous avons accueilli jusqu’à 40 patients atteints de la Covid tout en conservant 80 % de notre activité comme l’avait demandé l’ARS. Notre clinique est ultra sécurisée avec une seule entrée au printemps, et deux à l’automne, filtrées en permanence.
Malgré la fatigue manifeste chez les soignants, tous ont extrêmement bien travaillé et ont été très impliqués. De même, les médecins ont parfaitement joué le jeu : aucun ne s’est plaint au printemps et certains ont prêté main forte, soit au CHRO, soit dans d’autres régions. À l’automne, ils se sont organisés pour baisser l’activité de 20 %. Au fond, le pilotage de cette situation a été facilité par l’implication de tous les professionnels de l’établissement.
Aujourd’hui, notre unité Covid est fermée et seuls quelques patients en isolement individualisé demeurent ; le CHRO n’a plus que 18 patients en réanimation. Néanmoins, nous partons du principe qu’une 3e vague arrivera et les protocoles avec le CHRO sont déjà travaillés : principe de partage de personnels et d’équipements selon les partenaires du territoire, même organisation des soins avec, nous concernant, une unité limitée à 15 lits. Notre objectif commun est de gérer la Covid sans baisse d’activité. Si l’épidémie devenait de nouveau trop forte, nous savons comment nous organiser en mode dégradé, et si nous devions arrêter, nous prendrions les mesures adéquates.
Une envie d’autre chose !
Si aucun personnel n’a été infecté lors de la première vague, beaucoup l’ont été à l’automne, à l’extérieur pour plus de 90 % d’entre eux. Dès lors, la gestion des plannings devient extrêmement complexe mais nous avons fait face.
Alors que cette deuxième vague s’achève, plusieurs soignants, qui ont travaillé en secteur Covid notamment, ont démissionné. Ils nous ont avoué ne plus avoir envie de vivre cette facette de leur métier, celui de gérer la fin de vie de personnes âgées polypathologiques non « réanimatoires », de transférer des patients jeunes, de leur âge, en réanimation au CHRO et qui sont décédés, et de savoir que d’autres vagues viendront. Faire face à l’épidémie a été très douloureux pour nombre d’entre eux. Ils sont las de porter le masque toute la journée et de perdre cette relation si importante avec le patient dont le visage est de même masqué. Le regard, l’empathie, le sens de leur métier se perdent, nous disent-ils. Une infirmière nous indiquait avoir démissionné pour se rapprocher de ses parents car elle souhaite être là si quelque chose leur arrivait. Beaucoup se sont posé des questions sur leurs priorités et leur avenir. L’épidémie a beaucoup changé les mentalités. Selon moi, cette crise de la vocation soignante va être l’un des grands défis de l’hospitalisation publique et privée dans les mois qui viennent.
Janson Gassia, directeur Pôle Loire & Drôme, Ramsay Santé
Saint-Étienne, premier territoire touché, était l’épicentre de la deuxième vague épidémique. Nous avions accueilli au printemps environ 380 patients atteints de la Covid dans le département (42), et plus de 800 patients étaient hospitalisés à l’automne.
Dès fin septembre, notre ARS a été réactive, ce qui a permis de gagner une semaine précieuse. L’agence nous avait demandé initialement de réduire l’activité de soin, mais la vague a déferlé si brutalement qu’aucun établissement n’a eu le loisir de passer par les différents paliers ensuite prévus, et en une semaine, l’activité était totalement arrêtée.
Pour notre part, nous avons plus que quadruplé le nombre de nos lits de réanimation, passant de 8 à 35 et avons transformé 100 des 150 lits de chirurgie en lits de médecine Covid, 50 de plus qu’au printemps. Nous pouvions ainsi poursuivre l’activité importante d’urgence et de cancérologie. L’équipe de réanimation a géré l’augmentation du service sur ses propres forces, et une trentaine de soignants envoyés par des cliniques Ramsay Santé ou voisines nous a permis de gérer le service de médecine.
La dizaine d’établissements que nous sommes sur le territoire ont été sous l’eau à tour de rôle de mi-octobre à mi-novembre. Aucun d’entre nous n’aurait pu faire face seul à l’arrivée d’une trentaine de patients d’un seul coup comme cela s’est souvent produit. La gestion des lits se faisait au moins une fois par jour en direct entre les directeurs. Successivement, chacun s’est trouvé en très grande difficulté, a appelé les autres qui volaient immédiatement à son secours, un très bel esprit de coopération. Personne ne voulait être pris en défaut de prise en charge et personne n’a refusé un accueil en réanimation ou en médecine. À l’Hôpital Privé de la Loire, nous avons accueilli jusqu’à 33 patients simultanément en réanimation et 85 en médecine. Nous avons gardé la tête hors de l’eau grâce à tous.
L’ARS nous a aidés en déclarant l’arrêt d’activité, puis en nous ouvrant la porte des autres régions. En fonction du nombre de transferts « ouverts » par l’ARS, les réanimateurs du territoire décidaient entre eux qui était transféré et ce, sans attendre d’être débordé. Une trentaine de patients en réanimation de notre territoire a été transférée.
Les salariés et les praticiens ont été remarquables. Pas franchement enthousiastes au départ car encore marqués par la première vague, puis très engagés : personne ne fait ce métier par hasard. Nous avions travaillé cet été sur nos procédures pour les améliorer et nous avons été meilleurs à l’automne.
Une quarantaine de praticiens, pilotés par une dizaine de médecins rôdés de la première vague a fait tourner le service de médecine. Les pneumologues ont pris la direction de la première aile Covid ouverte, puis les médecins de médecine ont pris les rênes de la deuxième. Les 10 cardiologues ont pris en charge une aile, puis leurs confrères gastro-entérologues ont pris la suivante, etc. Nous avons également fait appel au Conseil de l’Ordre pour recruter des jeunes médecins généralistes fraîchement diplômés qui ont prêté main forte. Il fallait être nombreux pour tenir 56 jours, 24/24, au chevet de patients souvent lourds.
Aujourd’hui, deux tiers de nos salles fonctionnent et nous redémarrons prudemment. Les consultations et l’activité dont l’arrêt pouvait générer une perte de chance se sont poursuivies sans interruption. Les mesures de distanciation n’ont jamais été ralenties. La région de Saint-Étienne était régulièrement dans les médias, ainsi les usagers ont accepté l’arrêt d’activité. Demain, si l’épidémie devait reprendre, il faut espérer, au pire, qu’elle mette le système en tension mais pas à l’arrêt.
Crédits photos : Privé