RETEX Atelier Naissance – Édition spéciale

Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles

À ce jour, la prise en charge des parturientes au sein des structures hospitalières s’inscrit dans le cadre d’actions de coopération mises en place par les réseaux de périnatalité. Le développement du projet « 1000 premiers jours » implique une vision plus globale des parents. Quelle est la place pour les maternités dans cette politique globale visant à proposer un parcours à moyen terme garantissant notamment une prise en charge médico-psycho-sociale ? Plus spécifiquement, l’aspect psychologique étant fondamental, comment développer le recours à la pédopsychiatrie au sein des maternités ?

Sur le premier point, la maternité joue bien entendu un rôle pivot dans le parcours des parents. C’est par essence le lieu universel qui accueille toutes les mères et tous les nouveau-nés. Notre politique des « 1 000 premiers jours » va se traduire par un renforcement des moyens des maternités, en particulier des staffs médico-psycho-sociaux. La maternité doit mieux identifier les fragilités et contribuer à mettre en place les accompagnements en post-natal. Je sais que c’est sans doute moins facile pour les petites structures mais c’est une mission essentielle.

Quoi qu’il en soit, toutes les maternités doivent être au cœur d’un partenariat territorial avec les professionnels de ville et la PMI. Il est tout à fait indispensable que la PMI assure une présence dans chaque maternité de son territoire. Nous avons ainsi engagé un renforcement des moyens des PMI, avec 35 M€ en 2021.

Sur le deuxième point que vous soulevez, il faut bien entendu rapprocher les compétences et aller vers les parents, pour répondre au mieux à leurs besoins. La pédopsychiatrie périnatale a vocation à accueillir de manière pluridisciplinaire les parents dès la grossesse et après la naissance pour mieux prendre en charge les troubles psychiques et améliorer les conditions de développement de l’enfant. La psychiatrie périnatale est au cœur de notre travail dans le cadre des « 1000 premiers jours ». Nous créons de nouvelles unités parent-bébé (10) et de nouvelles équipes mobiles en psychiatrie périnatale.

Dans le cadre de ce projet des « 1 000 premiers jours », un des points essentiels est la réalisation de l’entretien prénatal précoce. Quelles actions sont envisagées pour améliorer le taux de 28 % d’entretiens actuellement réalisés ?

D’abord, nous souhaitons faire en sorte que les parents et notamment les mères connaissent davantage cet entretien, qui constitue en quelque sorte la porte d’entrée dans le parcours des « 1 000 premiers jours ». Nous aurons des communications vers le grand public en ce sens ; 28 % c’est trop peu et je ne suis pas certain que toutes les mères enceintes connaissent aujourd’hui l’existence de cet entretien. Nous mettrons ainsi en place une information systématique via les CPAM, la réception de la déclaration de grossesse pouvant être mise à profit pour cette information. Nous demanderons en outre aux professionnels de santé libéraux, médecins et sages-femmes, d’en faire la promotion auprès de leurs patients. Enfin nos réseaux de santé en périnatalité seront renforcés par des moyens supplémentaires octroyés par les ARS afin d’harmoniser le contenu de cet entretien et de renforcer l’implication des acteurs locaux.

La mise en œuvre du projet des « 1 000 premiers jours » implique des moyens humains et de soutenir les maternités qui constituent une structure de référence sur leur territoire de santé. Quelles mesures d’accompagnement sont envisageables pour soutenir les établissements de santé qui ont mis en place des mesures ou souhaiteraient déployer des services et organisations dans le cadre de ce projet ?

Comme j’ai pu l’indiquer, nous allons octroyer des moyens supplémentaires aux maternités dès 2021, nous souhaitons cibler ces moyens sur une centaine de maternités pour renforcer les staffs médico-psycho-sociaux. Par ailleurs, je donnerai des indications aux ARS au 1er semestre 2021 visant à soutenir les initiatives locales qui iront dans le sens d’un parcours coordonné entre l’anté et le post natal. La place des maternités est centrale et elles jouent un rôle pivot pour les parents dans ce parcours des « 1 000 premiers jours »; le partenariat local est une nécessité absolue. 

De nombreux établissements de santé, notamment privés, conduisent des démarches RSE. Quelle intégration de la dimension environnementale dans la démarche « 1 000 premiers jours » dans le cadre d’une politique de prévention ?

La protection de l’environnement est une priorité du gouvernement et une politique transversale qui touche tous les portefeuilles ministériels. Dans le cadre des « 1 000 premiers jours », la dimension environnementale se retrouvera notamment dans l’information et les conseils apportés aux parents. Nous y travaillons avec Santé publique France ; nous développerons et mettrons davantage en valeur l’excellent site agirpourbébé.fr. La finalité est d’apporter aux enfants un environnement plus favorable à leur santé, en considérant que les premiers acteurs de cet environnement sont leurs parents.

Comme vous le savez, l’hospitalisation privée assure plus de 20 % des naissances au sein de ses 120 maternités. Monsieur le secrétaire d’État, accepteriez-vous d’aller à la rencontre des professionnels de l’hospitalisation privée qui ont notamment travaillé sur le projet des « 1 000 premiers jours » ?

Je suis devant vous ce matin parce que vous occupez une place importante dans l’offre de soins en France, une place légitime et incontestée. Nous avons besoin de vous pour développer une politique ambitieuse en périnatalité en faveur des « 1000 premiers jours ». Je répondrai donc bien volontiers à votre invitation pour aller à la rencontre de vos professionnels. Merci encore pour votre invitation; je vous donne donc rendez-vous très prochainement.

Pr Boris Cyrulnik, président de la commission d’experts pour les « 1 000 premiers jours »

Sécuriser la mère

En 2019, le Président de la République lançait la commission des « 1 000 premiers jours ». Le Professeur Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, président de ce groupe de 18 experts a expliqué les enjeux de ces précieux jours pour le bébé, aux professionnels de santé du groupe expert Naissance de la FHP-MCO.

En Asie, le jour de la naissance est le premier anniversaire du bébé, pose le Pr Cyrulnik, et d’expliquer les mécanismes à l’œuvre bien avant l’accouchement. Il y a bien un déterminant génétique, précise-t-il, mais à peine les gamètes ont-elles fusionné, que les cellules commencent à se multiplier : le milieu intervient déjà. L’acquisition ou la modification du milieu agissent sur le bébé qui n’est pas encore né.

Les jeunes parents préparent la niche sensorielle qui va entourer le futur bébé. Mais un bébé peut souffrir du malheur de sa mère issu de son enfance, de son isolement affectif, de la violence conjugale, de l’absence du père, etc., explique le Pr Cyrulnik. « Le malheur maternel modifie l’expression de l’ADN que le bébé porte. » Il faut adopter un raisonnement systémique pour « saisir la cascade de causes hétérogènes faisant que le bébé arrive au monde avec des modifications cognitives ». Le Pr Cyrulnik se défend d’un déterminisme inexorable car « sécuriser la mère, sécurise le bébé qu’elle porte, et qui va se débrouiller pour extraire les informations et les aliments dont il a besoin pour se développer. Les mécanismes délétères pour le bébé s’effacent et le bébé reprend un développement naturel. » Cette résilience, il y croit, et elle « est plus facile que l’on pensait ».

Ainsi, le neuropsychiatre plaide pour la mise en place d’entretiens prénataux pour sécuriser la mère et lutter contre les inégalités sociales. Outre dépister les maladies comme le diabète, l’hypertension, etc., il faut aussi dépister la relation avec le mari, avec la famille et l’environnement social.

Pourquoi 1 000 jours ? 

Durant les 300 jours de la grossesse, le façonnement du cerveau et du tempérament du bébé démarre, influencé par le milieu. Quand la mère est stressée avant et pendant la grossesse, le taux élevé de cortisol dans le plasma franchit la barrière, et entre dans le liquide amniotique du bébé. À l’inverse, lorsque la mère parle, les basses fréquences de sa voix « viennent caresser la bouche et les mains du bébé qu’elle porte. C’est un stimulus et le premier nœud du lien de l’attachement. »

Le maître mot est la sécurisation également au moment de l’accouchement. « Dès les premiers travaux sur l’accouchement sans douleurs, une transformation d’ambiance dans les salles de travail était observée. Les femmes étaient pareillement mises à l’épreuve mais elles retrouvaient confiance en elle et devenaient maîtresses de leur accouchement. La famille, la culture et les personnels de la maternité ont une manière d’interagir avec les femmes enceintes qui les sécurise ou les angoisse. Les professionnels peuvent être de très bons sécurisants. Fournir des connaissances modernes sur les théories de l’attachement donne une autre manière pour les accoucheurs de penser l’accouchement. »

Durant les 300 premiers jours de sa vie, le bébé sera dans les bras de la mère. « Si la mère le regarde et lui parle, le bébé dispose de tout ce qu’il faut pour se développer. Si la mère ne regarde pas le bébé, et s’en désintéresse parce qu’elle ne voulait pas le mettre au monde, parce qu’elle est dépressive, que son mari est violent, le bébé cesse de téter, ou tète au ralenti. » Dès les premiers jours, le bébé est déjà relationnel. Il s’intéresse au monde qui l’entoure et cherche le regard de sa mère, soutient le regard des adultes, répond aux sourires ou déclenche le comportement parental en s’agitant. « Le bébé fait un babil, la mère écoute, interprète le babil, le bébé écoute puis lance un autre babil. On voit un tour de parole s’installer. C’est très important car c’est la première interaction qui sculpte le développement du bébé. »

La place du père

Le Pr Jean Le Camus disait « la place du père c’est d’être près de la mère et d’être différent ». Le Pr Cyrulnik explique : « l’annonce d’être mère ou père n’est pas du tout la même. Une femme sait qu’elle va être mère dans son corps. Le père le sait dans l’annonce de sa femme. Le père naît dans la parole de sa femme alors que le sentiment d’être mère naît dans le corps d’une femme. Les mères ont l’information de la provenance du bébé avant les pères. »

Très tôt, le bébé commence à tisser des liens, et est « sensible à la manière dont il est manipulé, faisant facilement la différence entre un corps d’homme et un corps de femme. Lorsque le bébé est toiletté par sa mère, il la reconnaît extrêmement tôt et cela s’inscrit dans sa mémoire. Lorsqu’un homme toilette un bébé, le style interactif est différent. Les femmes sourient et parlent davantage, elles sont plus proches du bébé. Les hommes sont sérieux, ne rigolent pas. La niche sensorielle des premières heures est déjà très différente. »

La fonction du père est plus précoce que l’on croyait. Le gouvernement a doublé la durée du congé parental à 28 jours, dont 7 obligatoires. « Affirmer la présence du père est utile pour la mère, elle améliore la relation du couple, sécurise la mère et est utile pour le bébé dès les premières interactions. » Pour le Pr Cyrulnik, l’allongement du congé paternité permettrait également de freiner l’augmentation des dépressions périnatales (différentes du post partum blues) essentiellement dues à l’isolement des jeunes mères. « Une femme qui aurait été sécurisée, fréquenté l’école, appris un métier, aura confiance en elle et aura moins de probabilité de faire une dépression, de même si elle est entourée pendant la grossesse par le père dès les premiers jours ou très tôt après avoir mis au monde le bébé. L’enfant est mal formé par le malheur du couple, de la mère ou du père. Un accident de la vie ou de l’histoire altère la niche sensorielle et le bébé acquiert des facteurs de vulnérabilité. Le bébé acquiert des facteurs de protection si la mère est sécurisée et des facteurs de vulnérabilité si la mère est insécurisée (…) Un bébé qui a acquis des facteurs de vulnérabilité, entre en maternelle avec un stock de 200 mots. Un bébé sécurisé, et qui a acquis des facteurs de protection, dispose d’un stock de 1 000 mots. Devinez lesquels vont devenir les bons élèves ? L’inégalité sociale commence avant la parole, pendant la grossesse, et pendant les interactions précoces des 300 jours suivants. »

Le Pr Cyrulnik rappelle que l’aide sociale à l’enfance coûte en moyenne 10 milliards d’euros par an. Il souligne que la Finlande qui a mis en œuvre des réformes de la petite enfance a pratiquement réduit l’illettrisme à moins de 1 %, fait disparaître la psychopathie des enfants et diminué les suicides d’adolescents de 40 %. « Les PMI et les métiers de la petite enfance sont à réinventer ! »

« Il faut tout un village pour élever un enfant » (proverbe africain)

Il ne faut pas médicaliser un développement normal. Ce travail relationnel, éducatif, social, n’est pas forcément celui d’un professionnel, mais celui de la famille, des amis, mais aussi des centres culturels, sportifs, explique le Pr Cyrulnik. Le rapport propose de créer des maisons « des 1 000 jours », où des familles peuvent venir bavarder avec d’autres familles. « Il y a deux ou trois générations, les femmes enceintes étaient toujours fêtées et entourées, alors qu’aujourd’hui, une femme enceinte est isolée et n’a jamais tenu un bébé dans ses bras. »

Quelle que soit la culture, tous les enfants apprennent à parler entre le 20e et le 30e mois : à 10 mois ils possèdent 50 mots, 500 mots à 20 mois, et 10 000 mots entre 3 et 5 ans. « Si la niche sensorielle est appauvrie, ils apprendront peu de mots, ils auront une compréhension d’eux difficile, ils ne vont pas comprendre les consignes et ne vont pas manipuler l’outil relationnel et intellectuel que nous apporte le verbalisé. D’un seul coup, ce n’est plus le corps de la mère qui présente le monde mais la langue maternelle. Puis, les grands récits collectifs créent le sentiment d’appartenance. Ils façonnent et plantent en nous des sentiments que nous transmettons à nos enfants. »

La commission des « 1 000 premiers jours » a également audité des experts sur l’exposition aux polluants. « Modifier le métabolisme de la thyroïde provoque des troubles développementaux du corps et de l’esprit. Avec des leurres endocriniens féminins, certaines substances provoquent une puberté précoce des filles à 8 ou 10 ans et retardent la puberté des garçons. Un phénomène anthropologique majeur est en train de se préparer. » Parmi les 75 propositions émises par la commission, figure celle d’une semaine du bébé durant laquelle psychologues, chimistes, etc., pourront informer et alerter : « chaque année, nous pourrons dénoncer des substances chimiques ».

En conclusion, le Pr Cyrulnik rappelle un raisonnement simple : « lorsque la femme enceinte est sécurisée, qu’elle met au monde un enfant, entourée d’un mari, de sa famille et d’une culture sécurisante, le bébé se débrouille. Cette manière de poser le problème nous responsabilise. Nous devons mettre en place beaucoup plus tôt que ce qu’on croyait des facteurs de protection maternelle qui seront des plans de protection des enfants, et le père y participe (…) Après une épidémie, un changement culturel important est souvent constaté. C’est la définition de la résilience. Il va y avoir des débats passionnants pour savoir comment on va orienter notre nouvelle culture. »

Pr Jean-Louis Touraine, député et co-rapporteur du projet de loi Bioéthique

La diversité des familles est une chance  

Jean-Louis Touraine, député et co-rapporteur du projet de loi Bioéthique rencontrait les membres du groupe expert Naissance de la FHP-MCO.

L’occasion de mieux comprendre les sujets en jeu dans ce projet de loi et d’échanger sur l’interdiction d’accès des établissements de santé privés à l’autoconservation des ovocytes.

En introduction, Jean-Louis Touraine singularise la bioéthique à la française en ce sens « qu’une loi a pour prétention en France d’englober toute la bioéthique. Pourtant, aucune loi ne pourrait traiter tous les sujets de la si vaste bioéthique et les inscrire dans le marbre définitivement comme le sont les droits de l’homme. » D’autres pays légifèrent sur un aspect particulier ou attendent qu’une action en justice soit menée et fasse jurisprudence, explique-t-il.

Il rappelle les propos de Bob Edwards, prix Nobel et père de la fécondation in vitro : « Vous les Français, vous voulez toujours tout encadrer, vous ne faites pas assez confiance, laissez faire et les choses se passeront bien. » Cette façon de réfléchir la bioéthique est au fond très simple, commente Jean-Louis Touraine : « Ce n’est pas la peine de se poser des questions sur tout ce qui déjà est accepté. »

Beaucoup de la bioéthique a été formulé après le procès de Nuremberg et « des interdits flagrants ont été édictés et sont impérieux ». Aujourd’hui, pour beaucoup de questions posées, « la séparation n’est pas entre le bien et le mal mais entre plusieurs versions du bienRépondre à des questions actuelles portées par des personnes ayant des visions philosophiques et éthiques distinctes en évitant que les uns gênent les autres avec une forme de relative liberté pour tous, a inspiré la loi actuelle. »

Par exemple, accorder la possibilité aux couples de femmes homosexuelles de se marier et d’adopter des enfants, « inscrivait presque en filigrane que ces femmes désireraient et pourraient avoir accès à la procréation ». De manière donc naturelle, une majorité des Français considère que le droit à la procréation médicalement assistée doit leur être accordé, même si un petit pourcentage de personnes fait encore aujourd’hui obstacle, explique-t-il. « La prise en charge de la procréation médicalement assistée sera accordée à tous les couples, quelle que soit leur nature. Je crois que c’est légitime. »

De même, une femme seule souhaitant bénéficier d’une PMA avec tiers donneur pourra accéder à une insémination artificielle. « Le médecin qui pratique la PMA a une responsabilité et doit évaluer la capacité de la future mère à élever ses enfants. » Les Belges déjà engagés dans cette démarche indiquent qu’un quart des demandes de PMA des femmes seules ne sont pas accordées car les conditions pour élever l’enfant ne sont pas perçues comme satisfaisantes.

Le projet de loi introduit également la possibilité d’autoconserver des ovocytes pour concevoir un enfant en différé car « l’horloge biologique est sévère pour les femmes ». Jean-Louis Touraine revient sur ses plaidoiries en faveur de l’ouverture des techniques de conservation des gamètes et de procréation à l’ensemble des établissements publics ou privés, sous le contrôle de l’ARS et sans dépassement d’honoraires. « Certains ont voulu restreindre l’accès aux établissements privés pour des arguments que j’ai peine à comprendre, en particulier quand on sait que le nombre d’établissements publics est insuffisant pour une activité amenée à croître. » « Nous pensions que cette loi qui veut élargir les droits des uns et des autres sans distinction particulière, n’allait pas faire une distinction de nature d’établissement », interpelle Jean-Loup Durousset, pilote du groupe expert Naissance de la FHP-MCO. « Alors que nos établissements s’inscrivent depuis des années dans cette démarche de PMA, nous ne comprenons pas pourquoi la loi exclut l’hospitalisation privée de cette possibilité de conserver au même titre que l’hôpital public. » Le rapporteur au Palais Bourbon lui répond que ses multiples amendements sur ce point ont tous été récusés, et argumente : « Les médecins sont bien les mêmes, ils ont été formés aux mêmes endroits et ont les mêmes connaissances. Il n’y a aucune justification à ne pas le faire. Si la question est de se prémunir d’un usage mercantile, alors on peut y mettre des règles. Les deux ministres de la Santé en poste pendant l’examen de cette loi n’ont rien voulu entendre de ces amendements. »

Le directeur de l’ARS pourrait toutefois ouvrir cette activité aux établissements de santé privés si une carence de l’offre territoriale d’autoconservation des ovocytes s’avérait trop forte. Le cas échéant, les femmes iront dans des pays voisins, l‘Espagne, la Belgique, prédit le député. À l’heure actuelle, davantage de demandes s’expriment que de donneuses se présentent. Mais « une nouvelle variété de donneurs va se manifester : des personnes généreuses avec un désir d’avoir quelques informations sur l’enfant qui va naître sans avoir le rôle de parent, ni matériel, ni affectif ».

L’intérêt de l’enfant

« Le législateur a un devoir prioritaire de protéger les plus faibles », rappelle Jean-Louis Touraine. « Nous voulons donner des droits à l’enfant : ceux d’être accueilli dans les meilleures conditions possibles, entouré matériellement et affectivement, bénéficier de l’amour de ses parents quels qu’ils soient. Les enfants issus de PMA sont très espérés et donc très aimés avant même de naître. »

Cette loi prévoit d’offrir la possibilité aux enfants qui le désirent d’accéder à leurs origines dès lors que les parents aimants sont différents des géniteurs (via un don de spermatozoïdes ou d’ovocytes). Une disposition introduite dans la loi demande aux médecins qui contribuent à des procréations médicalement assistées, y compris dans le cas de couples hétérosexuels, d’inviter les parents à informer l’enfant de ce tiers donneur. Des aides psychologiques pourraient expliquer les mots à utiliser selon l’âge. Ainsi, dès ses 18 ans, l’enfant sera en droit de lancer les démarches pour connaître son géniteur. Cette information lui sera remise de façon exclusive.

La clause de conscience du médecin

La clause de conscience existe pour tous les actes médicaux et est déjà dans le code de déontologie médicale, indique Jean-Louis Touraine. « Tout médecin, hormis les cas d’urgences, a un devoir d’aide à personne en danger. En dehors des conditions d’urgences, tous les médecins, pour tous les actes, ont le droit d’invoquer une clause qui prévoit que si un médecin ne veut pas, pour des raisons qui lui sont propres, c’est-à-dire des raisons philosophico-religieuses, de compétences personnelles qu’il ne trouve pas adaptées, a le droit de transférer un patient à un confrère. C’est déjà ce qui se passe pour l’IVG. »

La loi ne prévoit aucune ouverture à la gestation par autrui (GPA), présentée comme une ligne rouge. « C’est au nom de l’éthique qu’une GPA éthique est interdite. Pourtant, la meilleure façon de dissuader des GPA commerciales, est de permettre et d’encadrer les GPA éthiques. À partir du moment où des solutions existent, les personnes n’en cherchent pas de mauvaises. De façon inéluctable, cette question se posera lors d’une nouvelle loi de Bioéthique. Nous avons demandé à ce que la révision se fasse tous les 5 ans et non plus tous les 7 ans. »

La création d’une délégation parlementaire, moitié députés, moitié sénateurs, est demandée pour étudier en permanence les problèmes de bioéthique. « Regardez les problèmes éthiques que la Covid-19 a soulevés : tri des malades, gestion de la fin de vie dans les Ehpad. Demain, d’autres progrès médicaux vont apparaître, et sans attendre 5 ans, nous devons nous demander si nous les adoptons. » Cette demande a toutefois été rejetée au Sénat.

Jean-Louis Touraine rappelle que la loi de Bioéthique antérieure interdisait de développer des lignées de cellules souches humaines en France sauf dans des cas très particuliers et via une dérogation exceptionnelle de l’agence de biomédecine. La France prenait alors un retard indubitable dans le traitement de maladies par des cellules souches embryonnaires. Sans attendre la révision de la loi de Bioéthique, la promulgation d’une loi spécifiquement sur la recherche de cellules souches embryonnaires donne toute satisfaction.

Finalement, conclut Jean-Louis Touraine, « ce qui est important, c’est d’avoir une ouverture d’esprit permettant que des personnes s’expriment de façon un peu différente de nous, à condition que cela n’empiète ni sur l’intérêt de l’enfant, ni sur la liberté des autres. Pourquoi ne pas reconnaître qu’il y a des formes de familles ? Leur diversité est une chance et il n’y a pas un modèle unique à proposer à tout le monde. »

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