N’oublions pas la démocratie sanitaire
Catherine Simonin-Bénazet,
vice-présidente de la Ligue contre le cancer
« Dans le cadre d’une pathologie lourde comme le cancer, les déprogrammations de séances de chimiothérapie, de radiothérapie ou de chirurgie ont semé un vent de panique auprès des patients durant la première vague épidémique. »
Dans le cadre d’une pathologie lourde comme le cancer, les déprogrammations de séances de chimiothérapie, de radiothérapie ou de chirurgie ont semé un vent de panique auprès des patients durant la première vague épidémique. La pénurie des molécules d’anesthésie était évidemment un risque supplémentaire en particulier pour des opérations lourdes comme celles en digestif qui nécessitent des soins intensifs voire une réanimation.
Nous considérons que les patients n’ont pas toujours reçu une information loyale. La démocratie en santé a été mise de côté et c’est le message que la Ligue nationale contre le cancer a délivré lors de son audition auprès de la commission d’enquête du Sénat. Le droit à l’information est un droit essentiel du patient et cette lacune de communication est la source de conflits entre l’équipe soignante et le patient.
Le Conférence nationale de santé s’est également exprimée en ce sens et s’est aujourd’hui autosaisie pour veiller à un respect de la démocratie en santé. Les commissions des usagers dans les établissements de santé et les Conférences régionales de la Santé et de l’Autonomie s’organisent pour reprendre leur activité. Nous nous sommes battus pour que ces organes dédiés à la démocratie sanitaire soient activés.
Protéger les plus vulnérables
Avec France Assos Santé, nous avons travaillé tout l’été avec les ministères de la Santé et du Travail parce que toutes les personnes porteuses de maladies chroniques à risque de développer une forme grave de la Covid-19 devaient reprendre le travail. Nous avons amené des éléments afin d’établir une liste pour que ces personnes ne retournent pas sur leur lieu de travail. Comme toutes les listes, certaines personnes avaient été écartées de ces mesures dérogatoires. Cette liste a fait l’objet d’un décret le 29 août, cassé ensuite par le Conseil d’État. Aujourd’hui, nous sommes revenus au point de départ et à la liste initiale, qui exclut notamment les personnes insuffisantes rénales graves, polypathologiques ou atteintes de certaines maladies rares ainsi que les proches vivants au domicile des personnes concernées. Rencontré récemment, nous avons demandé au ministre Olivier Véran des mesures dérogatoires pour ces personnes exclues de la liste.
Par ailleurs, notre deuxième demande forte est que les personnes victimes d’une déprogrammation soient informées des mesures qui vont être prises, et en premier lieu quand vont-elles être soignées ? Une réponse institutionnelle au sein des établissements de santé doit être portée, accompagnée d’un soutien psychologique car être abandonné dans son projet de soins est très anxiogène. Il faut donc informer, suivre ces personnes et évaluer leurs éventuelles pertes de chance.
Le rôle des représentants d’usagers
Les représentants des usagers doivent être informés des mesures prises par l’établissement durant la crise, pour à leur tour, relayer cette information auprès des associations d’usagers qu’ils représentent. Ces associations agréées sont un relais indispensable pour informer et soutenir les personnes malades. Le système de soins est en grande tension durant cette crise majeure et les personnes malades ne le comprennent pas parce que cela ne leur est pas expliqué.
Le Pr Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer, vient d’annoncer la réouverture de la cellule d’écoute médicale mise en place avant le premier confinement, pour rassurer les personnes, afin de les inciter à entrer en contact avec leur équipe soignante. Au printemps, les personnes malades nous ont souvent rapporté qu’elles n’avaient pas d’interlocuteurs au sein des établissements, à l’exception notable des infirmières de coordination quand ce poste existe dans les établissements de santé.
Objectiver les pertes de chance
Lorsque le cancer évolue doucement, 2 ou 3 mois d’attente ne sont pas forcément une grande perte de chance mais définitivement oui, lorsque le patient doit attendre 6 mois.
Nous avons donc demandé au ministre d’objectiver ces pertes de chance ainsi que les séquelles et les maladies qui peuvent se chroniciser du fait de la Covid. Objectiver les dégâts collatéraux est indispensable même si les statistiques répondent à la loi des grands nombres et ne peuvent pas être une réponse apportée face à un patient.
Enfin, auprès de la commission sénatoriale, nous avons aussi exprimé notre souhait d’une meilleure collaboration entre les secteurs hospitaliers public et privé et c’est ce que nous constatons durant cette deuxième vague, y compris avec la médecine de ville. Nous espérons qu’il n’y aura pas de retour en arrière après cette crise.
La Ligue nationale contre le cancer est la deuxième association en nombre de représentants des usagers en France après l’UNAF, association de familles.
Interview réalisée le 29 octobre 2020.