Gérer l’urgence à l’autre bout du monde
Sur l’île de Mayotte, département français niché entre le continent africain et Madagascar dans l’Océan Indien, la prise en charge en période Covid des patients dialysés dans les centres privés Clinifutur, unique acteur de prise en charge en dialyse de l’île, a été très difficile. Retour sur une gestion de crise XXL.
La crise Covid a touché Mayotte de manière modérée au printemps 2020, mais d’autres nombreux aléas se sont simultanément greffés : un tremblement de terre, l’épidémie de dengue qui a été beaucoup plus importante que la Covid, et la fin du Ramadan qui a rendu le confinement encore plus difficile.
En août, les Mahorais se préparaient à la survenue d’un tsunami et l’île n’avait plus l’eau courante du fait de réseaux endommagés !
L’organisation sanitaire à Mayotte se résume à 1 centre hospitalier centré sur les urgences et doté de 16 lits de réanimation, 3 centres de dialyse et quelques médecins de ville, pour une population de 280 000 habitants.
Jeanne Loyher, directrice générale des sociétés de dialyse Réunion-Mayotte, n’a jamais baissé les bras. Native de l’île de la Réunion et rompue aux projets en terrains difficiles, elle a créé et dirige les seuls centres de dialyse, tous privés, de l’île de Mayotte. D’autres sont en projet, à Madagascar et même sur le continent africain, à Dakar… À Mayotte, les 3 centres de dialyse MAYDIA appartiennent au groupe de cliniques privées Clinifutur (basé à la Réunion) : 2 unités d’hémodialyse en centre et en UDM, et un centre d’autodialyse. Autant de prises en charge complémentaires pour les 250 patients accueillis venant de toute la région, sans compter les 150 supplémentaires sur liste d’attente. Particularité régionale : 49 % des patients dialysés sont des Comoriens sans papiers, non affiliés à la Sécurité sociale, et qui arrivent pour la plupart à un stade avancé de leur maladie rénale. Des accords inter-régionaux leur donnent droit aux soins, mais leur prise en charge est très complexe. Pendant plusieurs années, les séances de dialyse ne pouvaient pas être facturées. Depuis 2017, le centre hospitalier de Mayotte (CHM) adresse ces patients aux centres de dialyse privés qui lui facturent en retour les soins réalisés.
Gestion de crise
« L’arrêt brutal de toutes les liaisons aériennes dès le début de l’épidémie a rendu impossible les transferts des patients vers l’île de la Réunion pour les poses de fistules. Une situation inédite qui a généré une longue liste d’attente. Nos équipes ont dû alors opter pour des cathéters veineux centraux, même si leur utilisation n’est pas conseillée sur la durée. De plus, ces gestes chronophages requièrent de nombreux professionnels de soin. Nous avons alors cherché un accord avec l’hôpital public pour ces poses de fistules, et avons obtenu une autorisation de l’ARS permettant à un urologue et 3 IDE de Clinifutur de venir par vol spécial affrété par la préfecture pour opérer à l’hôpital de Mayotte. Ainsi, début mai, 40 interventions planifiées sur 4 jours ont été réalisées. Nous avons mis à disposition nos propres équipements et réglé les multiples problèmes logistiques en période de lockdown complet… Le plus difficile a été de faire comprendre à nos confrères du public l’importance de cette coopération, au-delà des clivages dogmatiques. Les cadres, aides opératoires, anesthésistes de l’hôpital sont désormais ouverts pour renouveler l’expérience. Une deuxième mission de ce type a eu lieu en septembre avec 48 patients opérés et une prochaine est en planification. Nous avons gagné sur ce point-là.
Cette coopération public-privé constitue une innovation majeure des ultramarins et peut être reproduite sur tous les territoires sous dotés en équipement pour l’insuffisance rénale. Nous espérons également qu’elle permettra l’émergence d’une conception nouvelle des relations entre les deux secteurs, au sein d’une politique régionale plus cohérente et efficace, basée sur les réalités de terrain.
Par ailleurs, nous avons pris en charge une quarantaine de patients Covid+ dialysés, dans une unité spécialement aménagée. Un seul patient a été admis en réanimation à la Réunion. Dernièrement retestés, personnels et patients sont pour l’instant négatifs.
Administratrice de la FHP Rein et en relation avec de nombreux collègues de Métropole, j’étais heureusement correctement informée. Cela ne m’a pas évité de passer beaucoup de temps à négocier les autorisations nécessaires. Si les conditions à Mayotte sont aux antipodes de ce que l’on peut trouver en Métropole, nous avons au final tous le même objectif, faire le maximum pour sauver des vies. »
Jeanne Loyher a été nommée par la HAS à compter du 20 septembre 2020, membre de la commission de certification des établissements de santé, pour une durée de trois ans.