« Le dépistage est une modalité de la prévention »
Le Dr Jean-Baptiste Méric
Oncologue médical, directeur du pôle Santé publique et Soins de l’Institut national du cancer (INCa) fait le point sur le dépistage du cancer du sein.
Comment a évolué le dépistage du cancer du sein ces dernières années ?
Après une évolution favorable, on constate une stagnation de la participation. En 2018, en France, 50,3 % des femmes concernées par le dépistage organisé (les femmes de 50 à 74 ans) ont réalisé l’examen. Si nous y ajoutons celles qui pratiquent le dépistage en individuel, on arrive à 60 %. C’est bien, mais c’est en dessous des recommandations européennes, fixées à 70 %. Ce taux est calculé pour fournir le plus grand avantage médico-économique : il valide un bénéfice important pour un territoire. Ce bénéfice est à la fois individuel et collectif : individuel, parce qu’il permet des prises en charge précoces, et collectif, car le dépistage coûte moins cher que des traitements oncologiques lourds.
Nous devons donc trouver les moyens de donner un nouvel élan à ce programme de dépistage organisé.
Quels sont les freins que vous rencontrez ?
Ils sont de plusieurs ordres. Le premier est le manque d’information, et le manque d’attention portée à sa santé. Le dépistage s’adresse à des femmes qui sont en bonne santé et n’ont aucun symptôme. Du coup, elles n’en voient pas la nécessité.
Les autres obstacles sont d’ordre psychologique. Dans ce cas-là, au contraire, les femmes sont bien informées. Mais l’appréhension est grande d’entrer dans le cabinet de radiologie en bonne santé, et d’en ressortir potentiellement malade, avec un examen qui révèle une anomalie. La peur est l’un des freins. Mais il est important de rappeler que le dépistage permet justement de repérer des tumeurs de petite taille, sans envahissement ganglionnaire, et que avec un cancer détecté à un stade précoce, 99 % des femmes sont encore en vie 5 ans après le diagnostic ; elles ne sont plus que 26 % lorsque le cancer est détecté à un stade avancé. Les traitements sont également moins lourds : 35 % des femmes dont le cancer a été détecté lors du dépistage organisé ont une chimiothérapie, contre 55 % chez les femmes qui ne participent pas à ce dépistage. Ce sont des chiffres significatifs.
Que souhaitez-vous mettre en place pour lever ces obstacles ?
La première chose à faire est de sortir de l’injonction. Ces dernières années, on se contentait de répéter « Il faut vous faire dépister, il faut vous faire dépister. » Mais la population n’est pas là pour écouter des incantations. Le dépistage doit être un acte de décision de la personne. Il faut l’inclure dans la prévention. Contre le cancer du sein, une série d’actions très simples est extrêmement efficace : moins boire d’alcool, ne pas fumer, avoir une alimentation diversifiée, pratiquer une activité physique. Le dépistage est une modalité de la prévention. Les médecins traitants sont de vrais relais d’information et il est essentiel qu’ils répondent aux questions des femmes sur ce dépistage. Il faut sortir de la défiance : nous n’obligeons personne, et la décision appartient aux femmes. Par contre, nous pouvons leur fournir les études sur le bénéfice/risque du dépistage. Le problème commence lorsque des groupes d’intérêts s’emparent du discours sur le dépistage à des fins politiques ou sociétales. Il faut donc rendre l’information disponible, transparente, s’appuyer sur les médecins traitants comme des relais, et faire appel à l’intelligence et la capacité de décision des patientes. Par ailleurs, nous nous sommes rendu compte, lors d’expérimentations, que l’appréhension de la douleur pouvait être grandement améliorée, si les patientes gèrent elles-mêmes, lors de la mammographie, le degré de compression du sein. Et si une première mammographie s’est bien passée, le frein est levé pour les suivantes.
Des campagnes comme Octobre Rose banalisent et valorisent le dépistage. C’est un évènement horizontal : les femmes se rendent compte qu’elles sont toutes concernées. Ce qui marche bien dans cette campagne, c’est qu’il s’agit d’un engagement collectif : si beaucoup de femmes le font, pourquoi pas moi ?