La santé est un des principaux points d’intérêt des citoyens, selon vous, comment le marché du numérique y répond-il aujourd’hui ?
Depuis les débuts du web, la santé constitue l’une des thématiques les plus prisées avec le sport et le sexe : blogs, plateformes, forums sont légion en la matière et ne faiblissent pas. Plus récemment, le « bien-être » et l’innovation des apps et des objets connectés, nous conduisent vers une mesure continue de notre état de santé avec l’explosion des données la concernant. L’effondrement des coûts de production, notamment de l’ADN, nous conduisent progressivement vers une médecine connectée et personnalisée. Dans ces transformations, ce sont d’abord les périphéries de la santé et de la médecine qui ont répondu à cette demande sociale et à ce nouveau marché : applications et connecteurs pour faire du sport, pour mesurer son sommeil, pour être coaché dans notre nutrition, etc.
Les médecins, mais aussi les directions d’établissements de santé, se disent en décalage, voire dépassés, par cette économie numérique, que leur conseilleriez-vous ?
Les organisations traditionnelles ont du mal à s’adapter au rythme exponentiel de ces innovations, celles de la santé, comme celles dans d’autres secteurs : je pense notamment à l’éducation. Le risque est de voir de nouveaux acteurs, hors secteur, progressivement prendre la place d’intermédiaires entre les patients et les professionnels de santé : Apple Santé ou autres sont d’ores et déjà mieux installés que notre Dossier médical partagé pour ne prendre que cet exemple. Les médecins voient par ailleurs le métier évoluer, notamment dans le colloque singulier où les patients, face à leur empouvoirement numérique (ils s’informent directement), veulent mieux comprendre et demandent plus de pédagogie et de suivi, tandis qu’à terme, la plupart des diagnostics se feront pour partie par l’entremise d’ordinateurs et d’algorithmes.
Dans cette situation, quelles sont les urgences ?
Pour ce qui me concerne, je vois deux urgences. La première est d’enseigner la culture numérique aux personnels de santé, tant dans les évolutions sociétales qu’elle produit que dans les nouveaux cycles d’innovation qu’elle ouvre, où informatique et médecine convergent.
La deuxième sera de moderniser d’urgence les systèmes d’information des organismes de santé pour prendre ce tournant, tant du point de vue de la convivialité des interfaces, que dans les innovations technologiques qu’elles permettent.
C’est à ce prix que les systèmes de santé traditionnels doivent prendre leur part à cette révolution ; sans quoi, les intérêts privés et hors secteur prendront la main sur ce qui constitue la plus grande rupture d’innovation depuis l’invention des grands médicaments et des progrès de la médecine du milieu du 20e siècle. Les perspectives pour améliorer la santé des individus sont enthousiasmantes mais nous devons maintenir la spécificité de notre système, et pour ce faire, il faut opérer ce virage.