1,2,3 Questions – Pr Jean-Michel CONSTANTIN

Pr Jean-Michel CONSTANTIN, président de la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR) et chef du service de réanimation à l’Hôpital Universitaire Pitié-Salpêtrière

Le délai d’application de vos recommandations pour la pratique professionnelle de l’anesthésie pédiatrique publiées en 2023, dont le moratoire est arrivé à échéance début 2025, a-t-il été suffisant ?

Les recommandations pour la pratique professionnelle (RPP) : « Organisation structurelle, matérielle et fonctionnelle des centres effectuant de l’anesthésie pédiatrique » publiées en avril 2023, ont pour objectif de sécuriser la prise en charge anesthésique des jeunes enfants. On nous a dit : « c’est brutal, il nous faut du temps pour s’organiser, s’adapter ». Rappelons que ces recommandations reprennent essentiellement des éléments connus, déjà présents dans le schéma régional d’organisation sanitaire (SROS) de 2004, soit 19 ans avant nos RPP. Le fait de mettre tous les éléments dans un texte, publié par la SFAR, en expliquant pourquoi il faut s’adapter, a probablement précipité les choses, et cela est plutôt positif, il était temps !

Notre communication initiale a probablement été maladroite, car nous aurions dû anticiper l’annonce d’un délai de réorganisation permettant aux équipes de s’adapter à nos préconisations. Ce délai, au total de plus de 18 mois, a néanmoins été décidé par le conseil d’administration de la SFAR, en réponse aux préoccupations de nos collègues anesthésistes-réanimateurs et chirurgiens.

Actuellement, il nous semble d’après les retours qui nous parviennent, que les professionnels se sont réorganisés dans l’esprit des RPP. Quelques structures à faible activité pédiatrique ont cessé cette activité au profit de structures dont les volumes d’activité permettent d’entretenir les compétences des soignants. Ainsi, alors que le moratoire est arrivé à échéance au début de cette année 2025, la plupart des structures se sont adaptées. La sécurisation de l’anesthésie pédiatrique, qu’il s’agisse d’organisation fonctionnelle ou de formation des professionnels, est maintenant une évidence. Compte tenu de la diversité des organisations régionales, ces RPP ne concernent pas l’activité d’urgence, qui reste le fruit d’une réflexion anesthésio-chirurgicale sur chaque site.

Un premier bilan des données d’activité chirurgicale pédiatrique sur 2024 s’avère très rassurant, en montrant qu’il n’y a pas eu d’effondrement des interventions à cause de nos RPP, les enfants ont pu être opérés, et de surcroît dans des conditions optimisées !

Quelles sont vos observations ?

On nous dit que les assureurs ont pris pour loi nos préconisations. J’ai envie de dire tant mieux. Revenons au rationnel de ces recommandations, il existe une morbidité et une mortalité évitable en anesthésie pédiatrique, surtout, mais pas exclusivement, chez les plus petits. Si les assureurs favorisent l’adhésion à des recommandations rédigées pour faire baisser la sinistralité, on ne peut que s’en féliciter. Le déploiement sur le terrain prend du temps et demande de la réorganisation. L’important est de constater que la restructuration est en cours, sans menacer l’activité pédiatrique réalisée en conditions réfléchies et sécurisées. Quelques établissements peuvent rencontrer des difficultés. La SFAR est à leur disposition pour venir en appui via la plateforme d’aide AVIPEDIA qui fonctionne 24/24h, accessible sur le site de la SFAR. Nos experts, libéraux et hospitaliers, peuvent même se déplacer sur site en cas de difficulté importante pour aider à trouver la bonne solution in situ. D’ailleurs, un an après l’ouverture d’AVIPEDIA, nous recevons de moins en moins de questions sur l’organisation mais continuons néanmoins à répondre à des questions cliniques spécifiques, ce qui est rassurant.

Au fil du temps, il est probable que l’activité de chirurgie pédiatrique pour les plus jeunes enfants se concentrera sur certains sites, ce qui nous semble une évolution favorable. De façon générale, notre spécialité l’anesthésie-réanimation est très attractive et nous sommes en capacité d’assurer la formation initiale et l’entretien des compétences des médecins qui exercent l’anesthésie pédiatrique de façon régulière, et cela quel que soit leur mode d’exercice.

Comment vos recommandations doivent-elles être comprises ?

De façon générale, nos recommandations, basées sur les données scientifiques, ont pour but d’aider les cliniciens à exercer selon les bonnes pratiques pour la majorité des patients, sans les empêcher de réfléchir, au contraire. Lorsque ce qui est simple et répétitif est fait selon les règles de l’art, cela permet de se concentrer sur ce qui est compliqué, hors du champ des recommandations. Ces recommandations posent un cadre formel à l’organisation de l’activité d’anesthésie pédiatrique. Un anesthésiste-réanimateur est libre d’adapter ces recommandations à son activité, son recrutement, ses habitudes, à la condition d’expliquer dans le dossier médical les raisons de son choix et pourquoi il n’a pas suivi les recommandations. D’ailleurs, certains établissements de santé privés assurant une activité pédiatrique importante sont en train d’élaborer leur charte de fonctionnement qui peut être sensiblement différente de nos recommandations. Ces différences doivent être réfléchies, argumentées et évaluées prospectivement en fonction de chaque structure, selon leur volume d’activité et leur patientèle. Ces chartes de fonctionnement, fruit d’une réflexion structurée, collective, au sein de l’établissement, adossées à une évaluation de la morbidité potentielle, sont parfaitement dans l’esprit de la dynamique de notre société savante.

Le conseil d’administration de la SFAR est paritaire public/privé, homme/femme également. Il dispose d’une vision d’ensemble du territoire et des modes d’exercice. Néanmoins, et c’était le sens de notre présence au conseil d’administration de la FHP-MCO récemment, la vision des directeurs est différente, complémentaire et pertinente sur le plan fonctionnel. Un exercice à reconduire dans le cadre de futurs sujets. On a toujours raison de discuter ensemble, en amont si possible. À l’instar des sportifs, « on n’a pas le même maillot, mais on a la même passion ».