Dr Bertrand de ROCHAMBEAU, président du Syndicat des gynécologues et obstétriciens de France (SYNGOF) et Isabelle DERRENDINGER, présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes
Dr de ROCHAMBEAU, que représente l’activité des maternités privées en France et quelles mesures pourraient être prises pour éviter la fermeture de sites ?
En France 25 000 sages-femmes, majoritairement en établissements sanitaires publics et privés, à l’instar des 5 260 gynécologues-obstétriciens, exercent dans les établissements sanitaires publics et privés. La moitié des gynécologues-obstétriciens exercent dans les maternités publiques qui recourent aussi à des praticiens diplômés à l’étranger. Côté maternités privées, 943 accoucheurs libéraux assurent la permanence de soins (2023). Ce chiffre baisse de 10 % chaque année.
La continuité d’activité 24 heures sur 24 repose sur les épaules des médecins, alors qu’après dix ans de pratique professionnelle, nombre d’entre eux se détournent de l’obstétrique pour s’orienter vers la gynécologie médicale ou chirurgicale. Cette tendance est accentuée par une rémunération des gardes et astreintes très insuffisante pour être incitative en contrepartie de la sujétion induite. La réévaluation en 2024 de la consultation des gynécologues médicaux à 40 euros constitue un signal supplémentaire pour abandonner la salle de naissance. De plus, l’aide à la prime d’assurance, qui est très élevée pour l’activité de salle de naissance, n’est plus octroyée quand l’activité technique de consultation représente plus de 50 % de l’activité technique totale.
Depuis 15 ans, le SYNGOF fait part de ces anomalies aux organismes de tutelle. Les gynécologues-obstétriciens ont perdu toute motivation. Si rien ne change, la France va continuer à concentrer l’offre et fermer des sites.
Le diplôme de gynécologie-obstétrique s’obtient après cinq ans d’internat et un an de post-internat. Certes, la France n’a jamais formé autant d’obstétriciens mais nous savons aussi que leur carrière en salle de naissance est très courte. La permanence des soins dans une maternité requiert à minima six obstétriciens, un nombre suffisant de sages-femmes et une équipe avec pédiatres et anesthésistes qui fonctionne. Cette équipe pourrait être rémunérée au forfait selon les compétences de chacun et les coûts induits par cette activité, comme la prime d’assurance. Nous aurions alors en salle de naissance, des équipes solidaires, et nous maintiendrions une activité d’obstétrique dans les établissements privés.
Madame DERRENDINGER, quelle est l’analyse du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes sur la pénurie des ressources humaines et qu’entendez-vous par l’invisibilisation récurrente des sages-femmes ?
Les professionnels de la périnatalité sont unanimes à dénoncer la caducité des décrets de périnatalité de 1998. Le morcellement, le cloisonnement des stratégies de gouvernance en santé de la femme est aussi un constat partagé. Pour exemple, la commission nationale de la naissance créée en 2008, a été supprimée en 2021 sans être relayée, alors qu’elle était force de proposition.
L’enquête nationale de périnatalité fournit des jalons tous les cinq ans. Les indicateurs publiés doivent nous préoccuper, tout comme les résultats de l’enquête confidentielle sur la mortalité maternelle. Selon les chiffres de 2016-2018 publiés en 2024, 150 parturientes décèdent chaque année, dont la moitié des décès serait évitable. Qu’est-il advenu des objectifs de sécurité, d’humanité et de proximité fixés par le plan périnatalité de 2005-2007 ?
Les sages-femmes se détournent de la salle de naissance pour des raisons liées aux problèmes démographiques, à la situation des maternités, aux décrets de périnatalité et du fait de l’absence de reconnaissance du statut médical de la profession. Nous observons une perte de sens dans l’exercice de la profession ainsi que le sentiment croissant pour nos consœurs de ne plus être en mesure d’assurer la sécurité physique et psychique des femmes.
Ainsi en France, si 30 000 sages-femmes sont inscrites à l’Ordre, seules 25 000 exercent, dont deux tiers à l’hôpital public. Parmi les 5 000 sages-femmes qui n’exercent plus, la majorité ne veut plus travailler en salle de naissance ni en structure hospitalière, du fait de la détérioration des conditions de travail. Parmi les 6 480 sages-femmes qui exercent en libéral en assurant l’amont et l’aval de l’accouchement, seules 2 500 exercent en activité mixte du fait des contraintes statutaires.
Par ailleurs, la cotation de l’activité de sage-femme dans la nomenclature INSEE pose problème. Celle-ci nous définit comme une profession intermédiaire et le métier est catégorisé dans les professions paramédicales.
La loi Chapelier de janvier 2023 visant à faire évoluer le métier de sage-femme préconise la création d’une sixième année d’études, le statut de maître de stage universitaire, l’intégration des écoles de sage-femme à l’université à l’horizon 2027, et enfin le reclassement de l’activité de sage-femme dans la grille des professions médicales de l’INSEE. Mais les directives européennes relatives à la nomenclature INSEE le permettent-elles ?
L’invisibilisation récurrente des sages-femmes par les pouvoirs politiques, majorée lors du Ségur de la santé, a accéléré le taux de radiation. Parallèlement, constat encore plus préoccupant : 27 % des places en école de sage-femme sont restées vacantes en 2022 et 9 % en 2023. Gardons à l’esprit que 2028 sera une année blanche du fait de la réforme de la formation, et de l’allongement nécessaire des études mais qui, malheureusement, n’ont pas été accompagnés d’une reconnaissance statutaire ni d’un accès facilité à la formation continue.
Sans sursaut politique, la situation devrait donc irrémédiablement s’aggraver dans un avenir proche. Penser résoudre le problème démographique français des sages-femmes par des recrutements de candidates à diplôme étranger serait une erreur, l’écart de formation et de compétences ne cessant de se creuser.