1,2,3 Questions – Jeanne Loyher et Aude d’Abbadie-Savalli

Jeanne LOYHER, directrice générale des établissements de dialyse du groupe Clinifutur – Réunion/Mayotte/Guyane, directrice générale de ENOVA

Comment avez-vous avec les équipes de soignants, les patients et les tutelles anticipé le passage du cyclone Chido du 14 décembre 2024 ?

Vivre et travailler dans l’hémisphère Sud, à la latitude de La Réunion et de Mayotte, impose de prendre en considération le risque cyclonique, dont l’intensité des phénomènes croît avec le réchauffement de la température de surface des eaux dans le Canal de Mozambique et dans l’archipel des Mascareignes. Les progrès de la veille météorologique mondiale nous permettent de mieux nous préparer à affronter les tempêtes tropicales, quand bien même les procédures ne modifient en rien la puissance des météores. La mise en œuvre de procédures bien pensées par des personnels entraînés permet toutefois de limiter les dégâts et de relancer au plus vite l’activité de nos centres.

Ainsi, dès le 11 décembre 2024, sur la base des informations données par Météo France à propos de la trajectoire du cyclone, le groupe de dialyse Réunion-Mayotte Maydia a activé son « plan cyclone », de gestion des tensions hospitalières. Le déclenchement d’une cellule de crise réduite a permis de définir une nouvelle organisation pour les 12 et 13 décembre, afin d’assurer la dialyse de tous les patients avant passage du cyclone. Simultanément, nous avons informé l’ARS et engagé une demande dérogatoire pour un passage à quatre séries par jour, doublée d’une demande d’autorisation d’exercice en centre lourd sur le site de Kaweni (UDM/UAD). Les patients, personnels, transporteurs et prestataires ont été informés de notre nouvelle organisation et plusieurs groupes WhatsApp ont permis une communication fluide : cellule de crise, communication interne, cyclone Chido…

Sur accord dérogatoire de l’ARS, nos patients ont été pris en charge selon la planification validée en cellule de crise, l’avant-veille et la veille du passage de Chido le 14 décembre. Une réduction de la durée des séances d’hémodialyse a permis d’augmenter la capacité d’accueil de nos centres et une équipe d’astreinte était en alerte rouge au centre lourd de Mamoudzou, le groupe Maydia assurant les replis du Centre Hospitalier de Mayotte.

Le 14 décembre, le cyclone Chido a frappé Mayotte, qui a reçu de plein fouet l’impact des deux faces du mur de l’œil, avec des vents très puissants. L’alerte rouge a été levée le 15 décembre à 18h et nous sommes entrés en phase de sauvegarde. 19 patients se sont présentés spontanément sur le site de Mamoudzou. Les jours suivants, pour pallier la perte de capacité de nos centres, partiellement dégradés par le cyclone et handicapés par les coupures d’eau et d’électricité, nous avons organisé l’évacuation sanitaire de 93 patients vers La Réunion, où ils ont été pris en charge par nos centres de dialyse Sodia.

La cellule de crise opérationnelle H24 a fonctionné jusqu’au 23 décembre.

À quelles conditions les centres de dialyse de Mayotte ont-ils pu rouvrir ? 

Deux de nos trois centres ont pu reprendre leur activité après un vaste protocole de vérification en six points.

En premier lieu, nous avons vérifié l’état des infrastructures. Après le contrôle des toitures, murs et fenêtres, nous avons vérifié l’état des accès, entrées, issues de secours, escaliers, ascenseurs… afin d’en garantir la sécurisation. S’en est suivi le contrôle de la fonctionnalité des systèmes de ventilation et climatisation, qui sont eux aussi dépendants de l’approvisionnement en énergie. Et enfin, nous avons contrôlé l’état des équipements médicaux et non médicaux.

En second lieu, nous avons procédé à la vérification des équipements essentiels, ce qui implique le contrôle et la validation des générateurs d’hémodialyse, l’absence de dysfonctionnements et de contaminations. La vérification des systèmes de traitement et de distribution d’eau permet également de garantir leur conformité aux normes d’hygiène et de s’assurer qu’ils ne présentent ni pollution, ni dégâts, ce qui impose une vérification des appareils électriques, de la plomberie et des réseaux informatiques. Il nous a fallu bien évidemment nous assurer de ce que l’alimentation électrique était fonctionnelle et stable, tout comme le bon état et la fonctionnalité du générateur de secours. Enfin, nous avons pris connaissance du niveau de carburant nécessaire au bon fonctionnement du groupe électrogène.

L’approvisionnement en ressources est une condition sine qua non au bon fonctionnement de nos centres. Nous avons donc contrôlé la disponibilité en stock des consommables nécessaires aux séances de dialyse (filtres, kits de dialyse…). Idem pour l’approvisionnement en médicaments et solutions nécessaires (héparine, sérum physiologique…). Enfin, point délicat compte-tenu du contexte de déficit hydrique chronique de Mayotte, il nous a fallu assurer la disponibilité d’une réserve suffisante en eau potable pour les équipes et les patients.

Concernant les conditions sanitaires et d’hygiène, après un événement aussi violent qu’un cyclone, il faut impérativement procéder à une désinfection complète des locaux, ce que nous avons fait. Nous nous sommes ensuite assurés du bon état des circuits d’élimination des déchets (DASRI) et avons évalué tous les risques et hypothèses de contaminations liés à l’eau, l’air et aux surfaces.

Pour la sécurité des personnels et des patients, la sécurisation des lieux avant la reprise de l’activité est incontournable. Elle doit être confirmée sur le fond et la forme. Ceci implique d’apporter une information claire aux patients quant aux modalités de reprise des soins.

Un plan de continuité permet ensuite de ne pas être pris au dépourvu, en cas de nouvelle crise (réseau d’alerte, transferts éventuels). Ce qui s’est avéré plus que nécessaire avec le passage à proximité de Mayotte de la tempête tropicale Dikeledi. La préfecture a de nouveau placé Mayotte sous alerte rouge le samedi 11 janvier au soir, maintenant ce statut jusqu’au lundi 13 au soir du fait de pluies torrentielles, coulées de boue et inondations qui ont affecté le sud de l’île.

Un mois après la catastrophe, à quelles difficultés devez-vous encore faire face ?

Avec la tempête Dikeledi, nos centres Maydia ont affronté un nouveau passage en alerte rouge, avec la fermeture des centres tout au long de l’alerte. Les centres n’ont pas vu leur intégrité mise en cause par ce second épisode.

Globalement, le cyclone Chido a eu un impact considérable sur les activités de Maydia. Le centre de Mramadoudou n’a pas encore repris son activité, alors que le retour des 93 patients mahorais transférés à La Réunion se trouve conditionné à sa réouverture. Cette situation a nécessité la mise en œuvre d’une importante logistique.

La destruction du stock de matériels provoquée par le cyclone a engendré une carence cruciale pour la mise en œuvre des soins et le bon fonctionnement des centres. D’autre part, les infiltrations, la casse et les détériorations causées par le cyclone ont fragilisé les centres, affectant potentiellement la qualité et la sécurité des soins. La forte demande auprès des rares entrepreneurs disponibles et le manque de matériel et fournitures rendent problématiques l’accomplissement des travaux nécessaires à la remise en état des centres.

Le cyclone a eu un impact psychologique majeur sur les patients et les équipes de soins, ce qui a grandement affecté la santé mentale des uns et des autres… On peut parler de stress post-traumatique.

Les dévastations provoquées par le cyclone ont privé nombre de personnels et soignants de domicile, obligeant certains à dormir dans les locaux pendant la crise. Cet état affecte leur disponibilité et possiblement, à terme, leur capacité à travailler.

Enfin, l’approvisionnement en eau et en denrées alimentaires est devenu difficile, du fait d’une réelle pénurie dans les commerces, de la spéculation sur les prix en dépit des arrêtés préfectoraux, ce qui peut affecter à terme le fonctionnement des centres et le bien-être des patients.

Toutes ces difficultés mettent les centres Maydia à rude épreuve et pointent la nécessité et l’urgence de mettre en place des mesures pour renforcer la résilience des structures de santé face aux catastrophes naturelles.

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Aude D’ABBADIE-SAVALLI, directeur de groupe Les Flamboyants, La Réunion, Mayotte

Quel a été l’impact du passage du cyclone Chido sur Mayotte le 14 décembre 2024 et des pluies torrentielles qui ont suivi le passage du cyclone Dikeledi le 13 janvier 2025 sur les activités de votre groupe de santé Les Flamboyants ?

Les cyclones Chido et Dikeledi ont eu un impact significatif sur l’activité de la Clinique Uhaju située à Mamoudzou, moins d’un mois après son ouverture. Si nous avons recensé des dégâts matériels au sein de la structure – notamment des fuites, des rideaux métalliques endommagés et des baies vitrées brisées –, ces dommages restent mineurs en comparaison avec le lourd bilan enregistré sur l’île.

Dans ce contexte, nous avons été contraints de suspendre nos activités pendant un mois. Cette suspension était nécessaire, bien que les besoins de la population en matière de soins soient très importants. Depuis le 14 janvier 2025, nous avons pu rouvrir partiellement. Cependant, cette reprise s’accompagne de nombreux défis. Nous devons relancer les prises en charge, reprendre contact avec nos patients et nos partenaires adresseurs, tout en répondant à des besoins spécifiques.

Une partie de nos locaux est utilisée comme base de vie pour les équipes nationales de renfort de l’ARS, limitant temporairement notre capacité d’accueil. Pendant le mois de fermeture, certains de nos professionnels ont été placés en chômage partiel, tandis que d’autres ont été déployés au Centre Hospitalier de Mayotte (CHM) ou auprès de Médecins Sans Frontières (MSF). Je tiens à saluer leur résilience et leur mobilisation. Leur engagement a permis de continuer à soutenir la population dans un contexte particulièrement complexe.

À court et moyen terme, à quelles difficultés devez-vous encore faire face ?

Nous faisons face à plusieurs défis majeurs. Tout d’abord le travail avec nos partenaires locaux, tels que les services d’aide à domicile et les fournisseurs de matériel médical, est ralenti par les conséquences des cyclones. Les difficultés d’accès aux infrastructures et les problèmes de connexion Internet freinent la coordination des soins. Aussi, la clinique n’est toujours pas raccordée au réseau d’eau prioritaire, ce qui complique nos opérations. De plus, tant que nos locaux restent partiellement occupés par les renforts nationaux, notre capacité d’accueil demeure limitée. La réouverture complète dépendra de la libération progressive des espaces.

Avant le passage des cyclones, Mayotte faisait déjà face à une pénurie critique de personnel. À l’avenir, cette situation pourrait s’aggraver. Le recrutement de professionnels de santé reste un enjeu majeur pour garantir une prise en charge optimale des patients. Au sein du Groupe Les Flamboyants, nous pouvons compter sur l’engagement et la solidarité de nos équipes. Nos cliniques Les Tamarins à La Réunion apportent leur soutien : des professionnels volontaires se préparent à rejoindre Mayotte pour des missions de quelques mois. Ces renforts – dont le départ est prévu dans les prochains jours – joueront un rôle important dans la reprise de notre activité et dans le soutien aux équipes de la clinique Uhaju.

Quelles solutions spécifiques à votre région avez-vous mises en place ?

Nous avons dû nous adapter rapidement en mettant en œuvre des mesures concrètes pour répondre aux besoins immédiats. Une cellule de crise a été activée bien en amont du passage du cyclone, avec des points quotidiens organisés pour assurer une coordination efficace avec nos équipes.  Nous avons rapidement proposé notre soutien à l’ARS Mayotte et à la préfecture, en mettant à disposition nos locaux et nos professionnels. Nos équipes – médecins, infirmiers, kinésithérapeutes – sont pleinement mobilisées. Dans le cadre de notre engagement, nous avons également fourni des équipements à des associations de Mayotte. Nous avons envoyé des masques fabriqués par notre usine, afin de les soutenir dans leurs actions.

Ces initiatives témoignent de notre détermination à rester engagés sur le territoire et à répondre concrètement aux besoins de la population. Dans un contexte aussi critique, tous les acteurs doivent miser sur l’entraide et la solidarité.