1,2,3 Questions – Dr Clémence HINDY FRANÇOIS – Clinique Marcel Sembat (92)

Dr Clémence HINDY FRANÇOIS, anesthésiste-réanimateur à la Clinique Marcel Sembat (92), co-auteur de l’étude APFeL

Pourquoi menez-vous l’étude de l’anesthésie pédiatrique en France en libéral (APFeL) ?

Notre étude est une réponse à la publication par la Société française d’anesthésie réanimation (SFAR) en mars 2023 des Recommandations pour la pratique professionnelle concernant l’organisation de l’anesthésie pédiatrique [1]. Ces recommandations ont surpris les anesthésistes tous secteurs d’activité confondus. En dehors des recommandations de bon sens (formation continue, locaux et matériel médical adaptés), les experts cosignataires du texte demandent de doubler les effectifs des équipes d’anesthésie pour certains patients : les enfants de moins de 1 an, certains enfants âgés de moins de 3 ans et, en caricaturant, tous les enfants enrhumés. Nous avions le sentiment que doubler les effectifs n’améliorerait pas la sécurité des patients. Il ne faut pas complètement blâmer les experts car il n’y a pas de publications de l’activité d’anesthésie pédiatrique dans les centres privés. C’est une erreur de notre part.

Avec le Dr Alia Skhiri, co-instigatrice de l’étude APFeL et anesthésiste-réanimateur à l’Hôpital Privé de Marne-la-Vallée (94), notre projet a été de décrire la population prise en charge en anesthésie pédiatrique dans les centres privés, afin de voir si celle-ci correspond à celle retenue dans l’extraction française [2] de l’étude européenne APRICOT de 2015 [3], à l’origine des recommandations de la SFAR de mars 2023. 3 886 enfants endormis dans les établissements privés ont été inclus dans l’étude prospective APFeL en 2023 versus 3 535 dans l’extraction de la population française de l’étude APRICOT (ces enfants avaient été endormis dans 20 centres, dont seulement 2 de la FHP).

À ce jour, quels sont les résultats de l’étude APFeL ?

La population d’APFeL ne ressemble pas à celle prise en considération dans l’extraction française d’APRICOT [3] : les enfants pris en charge en hospitalisation privée sont en moyenne deux fois plus âgés et plus lourds (!), et la gravité initiale des patients lors de la prise en charge est différente. Cette gravité décrite par le score de l’American Society of Anesthesiologists (ASA) est très rarement de niveau trois* ; trois à quatre fois moins que dans la population française d’APRICOT [2]. Or ce sont ces enfants qui vont présenter des complications.

L’étude APFeL démontre aussi que seulement 2 % des enfants pris en charge vont présenter une complication directement liée à l’anesthésie, toutes mineures et sans modification du séjour du patient. Dans l’extraction française de l’étude APRICOT, 5,5 % des enfants présentaient des complications directement liées à l’anesthésie.

Désormais nous espérons pouvoir fusionner la base de données de l’étude APFeL et celle de la population française d’APRICOT pour pouvoir confirmer que ces deux populations sont statistiquement différentes.

Quelles sont les prochaines étapes ?

L’analyse des données PMSI de l’activité d’anesthésie pédiatrique de 2022 et les résultats d’APFeL ont été présentés à la DGOS le lundi 21 octobre 2024. Ces travaux vont être communiqués aux différents CNP de chirurgie.

L’analyse des données PMSI vient d’être acceptée en publication dans la revue française de la SFAR ANREA.

Les résultats de l’étude APFeL seront soumis dans une revue internationale anglophone début 2025.

Notre objectif est de maintenir le moratoire qui avait repoussé au 1er janvier 2025 l’application des recommandations de la SFAR parues en mars 2023 jusqu’à ce que les données d’APFeL soient publiées. Ce moratoire est une première étape. Nous souhaitons ensuite obtenir un amendement des recommandations de la SFAR pour adapter les recommandations à la population prise en charge.

Au final bien-sûr la qualité et la sécurité en anesthésie pédiatrique demeurent une priorité, tout en évitant des délais d’attente trop long préjudiciables pour nos jeunes patients.

Nous remercions les médecins anesthésistes des établissements privés pour leur implication, et la DRE du groupe Ramsay Santé pour son financement. Ce travail a bénéficié du soutien de la FHP.

* classes de cotation des patients devant subir une anesthésie, proposée par l’American Society of Anesthesiologists :

Classe 1 : patient en bonne santé.
Classe 2 : patient atteint d’une maladie générale modérée.
Classe 3 : patient atteint d’une maladie générale grave mais non invalidante.
Classe 4 : patient atteint d’une maladie générale mettant en jeu le pronostic vital.

Références

[1] Organisation structurelle, matérielle et fonctionnelle des centres effectuant de l’anesthésie pédiatrique, De Queiroz M. et al. https://sfar.org/organisation-de-lanesthesie-pediatrique/

[2] Description of practices and complications in the French centres that participated to APRICOT: A secondary analysis, Dahmani S. et al. Anaesthesia Critical Care & Pain Medicine 2019 vol 38 (6) 637-645

[3] Incidence of severe critical events in paediatric anaesthesia (APRICOT): a prospective multicentre observational study in 261 hospitals in Europe, Habre W. et al. The Lancet Respiratory Medicine 2017 vol 5(5) 412-425