Amah KOUEVI, directeur de l’Institut français de l’expérience patient
Comment appréhender la notion d’expérience patient et la prendre en considération dans la prise en charge thérapeutique ?
Parfois la parole ne suffit pas, l’expérience patient va au-delà de ce qu’un patient est capable d’exprimer. Il se peut que le patient rencontre des difficultés à exprimer par la parole ce qu’il a vécu dans sa prise en charge thérapeutique, pour autant l’expérience patient doit être recueillie. Cette connaissance est fondamentale pour améliorer les modalités de la prise en charge.
Quand il s’agit d’orienter la stratégie thérapeutique du patient, s’appuyer sur le seul savoir médical est insuffisant. Est-il légitime d’imposer à un patient des traitements pour lesquels il n’est pas prêt à supporter les effets secondaires ? De même, la parole du patient, mais aussi celle de son entourage, doivent être prises en considération. L’écoute mutuelle, entre le savoir expert du médecin ou du soignant et le savoir expérientiel du patient, est indispensable pour décider du meilleur suivi thérapeutique.
L’Institut français de l’expérience patient a réalisé une étude auprès de 2 000 patients afin de comprendre les paramètres qui ont le plus d’influence sur l’expérience patient. Que retenir de ces travaux ?
Ces travaux ont permis d’isoler trois points à conserver à l’esprit lorsque l’on parle de l’expérience patient. En premier lieu, la partie clinique de la prise en charge est l’élément le plus important dans l’expérience patient. L’expérience patient est trop souvent cantonnée à sa dimension subjective alors qu’elle est aussi faite d’une dimension objective. On a également tendance à considérer prioritairement les aspects relationnels ou logistiques comme le confort de la prise en charge, le fait de bien parler, la sympathie des échanges alors que l’étude démontre que l’expérience patient, pour un tiers de sa valeur, est liée à l’appréciation de la prise en charge thérapeutique.
En second lieu, l’expérience patient est cumulative et intégrative. Tout au long de son parcours, le patient entre en contact avec une série de services et plusieurs professionnels. Au fur et à mesure de son parcours, une forme de compte en banque émotif est alimenté : s’il est un peu perdu en début de parcours, il enregistre un débit. Si un soignant le repère, s’adresse à lui, le rassure, l’oriente, il enregistre un crédit. L’expérience globale sera façonnée par cette somme de débits et crédits. L’expérience n’est pas un moment mais une somme d’instants.
Enfin, l’étude démontre que l’expérience patient se partage essentiellement dans un cercle privé. Les professionnels de santé sont personnellement sollicités par leurs proches sur la manière dont une prise en charge, un soin, une consultation, sont vécus alors que dans leurs pratiques, ils bénéficient rarement du retour d’expérience de leurs propres patients. On ne peut pas se satisfaire du fait que l’expérience patient ne se partage que dans un cercle privé. Il est primordial d’encourager activement l’expression du vécu et des savoirs expérientiels des patients afin d’en tirer des enseignements utiles pour améliorer les prises en charge.