Anne BELLANGER, conseillère experte, et Édith RIOU, cheffe du bureau de la qualité, des parcours et des usagers (P4) à la direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère de la Santé et de l’Accès aux Soins
Madame Anne Bellanger, quel traitement la DGOS réserve-t-elle aux plaintes et témoignages des patients qui lui sont adressés ?
Je suis en quelque sorte une représentante des usagers au sein de la DGOS. Je lis tous les courriers de témoignages, plaintes et réclamations qui nous sont adressés avec une attention particulière pour ceux portant sur le non-respect des droits et principes éthiques fondamentaux lors des prises en charge des patients. Je communique aux collègues des différents bureaux métiers les courriers relatifs aux prises en charge spécifiques dont ils ont la charge (ex. santé mentale, urgences, chirurgie, cancérologie, personnes âgées, maladies neurodégénératives) notamment pour être pris en compte dans la construction des politiques de santé de ces thématiques et leur évaluation.
Ces courriers adressés à la DGOS et nos réponses associées sont ensuite partagés avec les agences régionales de santé (ARS) notamment chargées de veiller au respect des droits des usagers et à la qualité-sécurité des prises en charge au sein des offreurs de soins de la région. Les ARS prennent en compte chaque plainte et réclamation qui leur est adressée bien souvent directement par l’usager. Elles assurent le lien avec les établissements de santé concernés. Tous les témoignages ne sont pas équivalents, certains nécessitent un diagnostic interne partagé avec les représentants des usagers et les professionnels de santé et pour d’autres situations, l’ARS peut mener, le cas échéant, une action d’inspection contrôle programmée ou inopinée (ex. situation de maltraitance).
La DGOS se nourrit également de ces témoignages d’usagers pour proposer des actions de formation continue aux professionnels de santé. Cette année, huit axes de formation ont été proposés par notre bureau : accompagnement du deuil périnatal, annonce de la mauvaise nouvelle médicale, prise en compte de l’expérience des usagers, médiation en établissement de santé (ES) et établissement et service social et médico-social (ESSMS), sensibilisation à la réflexion éthique, communication soigné-soignant, décision partagée soigné-soignant et enfin, en collaboration avec la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), maltraitance dans la pratique du soin et de l’accompagnement . L’objectif poursuivi est l’amélioration des pratiques professionnelles.
Pour la DGOS, la parole de l’usager (patient, famille, proche) est une « parole en or ».
Dans quelle mesure la parole du patient oriente-t-elle la prise en charge thérapeutique ?
Les avancées en matière de prise en considération de la parole du patient dans son suivi thérapeutique sont importantes mais selon l’expression du ministre chargé de la santé en ouverture d’un colloque pour les 20 ans de la loi du 4 mars 2002 « nous sommes encore au milieu du gué ». Pendant longtemps, le patient a appris à se taire et à écouter le médecin pour tenter de comprendre l’information quand elle était donnée. Les échanges avec les professionnels de santé ne se déroulent plus selon un modèle paternaliste. Nous nous approchons d’un partenariat soigné-soignant dans lequel la parole de l’usager, qu’elle soit individuelle ou collective, doit être sanctuarisée.
La parole des usagers partagée lors de congrès, de séminaires ou dans le débat public ne doit pas être vaine et ne l’est pas. Ainsi, la nécessité d’un dispositif d’annonce est née des Etats généraux des malades atteints de cancer en 1998. Ce dispositif a ensuite été intégré au plan cancer 2003-2007 et constitue une des conditions d’autorisation pour un établissement de santé à traiter des patients atteints de cancer. La parole des patients permet donc d’améliorer leur prise en charge.
La décision médicale partagée est un grand pas dans la prise en charge thérapeutique. Non seulement le patient est écouté mais il peut aussi exprimer son choix auprès du médecin à la suite d’une information claire, adaptée et compréhensible, notamment sur les bénéfices et les risques (il n’y a pas une seule « bonne solution »). Le médecin propose les options thérapeutiques qu’il est possible de mettre en œuvre selon le choix de vie, les valeurs, le souhait de la personne en prenant en compte son expérience dans le respect de son autonomie (ex. les directives anticipées pour les situations de fin de vie).
La mise en place du médiateur de santé pair en santé mentale (annoncée comme « grande cause nationale » 2025 par le Premier ministre, et le 10 octobre est la journée mondiale de la santé mentale) résulte de la même prise en considération. Ce partenaire en santé mentale est légitime car il a vécu la même pathologie. Il intègre une équipe de soins pour, sans se substituer au patient ni au professionnel de santé, aider à la considération de la parole du patient dans sa prise en charge thérapeutique.
Le développement de ces nouvelles formes de partenariat avec les patients constitue un facteur d’amélioration de la qualité des prises en charge. La place des patients dans la formation des futurs médecins n’a été reconnue que récemment, alors qu’elle existe depuis plusieurs décennies dans d’autres pays, notamment anglo-saxons. En France, elle est inscrite dans la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et la transformation du système de santé (son article 3). Après la mobilisation d’un groupe de travail (composé notamment d’associations de patients) pour mettre en œuvre cet article de la loi, la DGOS, en lien avec le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, a rendu public début 2024 un rapport qui formule des propositions permettant de fixer un cadre national sur la participation du patient à la formation initiale des médecins. C’est une avancée notoire. Accepter qu’un patient s’exprime en faculté de médecine aux côtés d’un professeur de médecine permet d’intégrer la parole du patient dans la prise en charge thérapeutique à venir des étudiants qui accèdent ainsi plus tôt aux témoignages et à l’expérience du patient. Les travaux de la DGOS se poursuivent pour étendre le concept aux autres étudiants en santé.
Madame Édith Riou, selon vous dans quelle mesure la politique qualité est-elle écrite par les représentants des usagers ?
La politique qualité est construite pour et par les usagers et la DGOS porte une attention forte à l’amélioration continue du service rendu.
Au sein des établissements de santé, elle gagne également à être co-écrite avec les soignants et le personnel hospitalier : c’est autour d’un dialogue resserré que les projets les plus adaptés se construisent, en tenant compte à la fois des besoins des patients mais aussi des contraintes du système. L’engagement des représentants d’usagers pour faire progresser le système est à ce titre admirable et il convient de l’encourager.
La DGOS est aussi régulièrement sollicitée par les usagers ou leurs proches, notamment pour témoigner, parfois des mois après la prise en charge. Pour l’usager, écrire à la DGOS n’est pas un acte spontané. Il est réfléchi et souvent motivé pour que certaines situations ne se reproduisent pas pour d’autres patients ou familles. Tous les mots sont pesés et c’est aussi une source d’inspiration pour nous. Une réponse est apportée à tous les courriers reçus.
De même, les associations de patients nous interpellent sur les sujets dont l’administration n’a pas toujours conscience au quotidien. Leur voix est fondamentale pour nous permettre d’offrir une qualité de service aux usagers du système de soins.