Valérie RABAULT, députée PS de Tarn-et-Garonne et 1re vice-présidente de l’Assemblée nationale
À quelles observations répond la proposition de loi relative à la pénurie du médicament qui sera débattue le 29 février à l’Assemblée nationale ?
Cette proposition de loi découle des remontées de terrain. Qu’il s’agisse des officines, des associations de patients et des établissements publics et privés, tous alertent sur les pénuries de médicaments. En 2023, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) a recensé plus de 5 000 ruptures d’approvisionnement de médicaments, soit dix fois plus qu’en 2013.
Face à cette situation, en tant que parlementaires, nous avons la responsabilité non seulement d’alerter le Gouvernement, mais aussi de faire des propositions concrètes. C’est le sens du rapport publié par le Sénat en juillet 2023. Pour l’Assemblée nationale, malgré l’ampleur du problème, il n’y a jamais eu en séance de proposition de loi spécifique sur les pénuries de médicaments, en dehors des débats budgétaires de l’automne (PLFSS).
Cette proposition de loi est donc une première.
Pourquoi la proposition de loi s’intéresse-t-elle à la gestion des stocks ?
Les pénuries de médicaments découlent de plusieurs facteurs : une hausse de la demande mondiale en médicaments sans que les capacités de production aient augmenté à due proportion ; une chaîne de production fragilisée par sa fragmentation ; des prix sur les médicaments matures que certains industriels jugent trop bas pour poursuivre les productions ; une connaissance des stocks insuffisante pour assurer un pilotage agile.
Dans cette proposition de loi, j’ai privilégié les actions qui peuvent avoir un effet positif à court et moyen termes, c’est pour cela que j’ai choisi de traiter la question des stocks pour sécuriser l’approvisionnement. Le droit actuel prévoit une obligation de stock allant d’une semaine pour les médicaments du quotidien comme le paracétamol, à 2 mois pour les médicaments essentiels, c’est-à-dire ceux pour lesquels une pénurie induit un risque vital pour le patient. Clairement, dans bien des situations, cette durée ne laisse pas le temps de se retourner, en cas de difficulté de production, comme me l’ont indiqué la plupart des acteurs.
Aussi, je propose d’augmenter ces seuils afin qu’ils soient compris pour tous les médicaments entre 2 mois (seuil minimum) et 6 mois (seuil maximum). Ceci permettrait à l’ensemble des acteurs de la chaîne de se donner du temps dans la recherche de solutions alternatives, et d’éviter de faire peser systématiquement les pénuries sur le patient.
En parallèle, il faut donner à l’ANSM plus d’agilité, pour lui permettre de demander un stockage renforcé lorsqu’elle est informée en amont de difficultés à venir sur la production d’un médicament donné, et pour lui permettre aussi de demander du déstockage afin de fluidifier les approvisionnements. Ceci suppose que l’ANSM puisse devenir une « tour de contrôle » et qu’elle connaisse à tout instant l’état des stocks en France, chez les industriels, les grossistes répartiteurs et les pharmacies. Aujourd’hui, ceci n’est pas le cas, car le suivi de la disponibilité des médicaments passe par l’utilisation de plusieurs bases de données qui ne sont pas toujours complémentaires entre elles, à tel point que l’ANSM mobilise 10 agents pour tenter de consolider toutes ces informations ! Il est donc urgent d’avoir une plateforme unique de suivi des stocks, qui serait utilisée par l’ensemble des acteurs de la chaîne du médicament.
Bien entendu, j’ai bien conscience que le cœur du sujet reste la production, et la sécurisation de tous les maillons de la chaîne. Ceci fera l’objet d’échanges avec le ministère de l’Industrie.
Quelles sont les prochaines étapes ?
La Commission des affaires sociales qui s’est réunie la semaine du 12 février, a voté ma proposition de loi, toutefois en amendant l’exigence minimale de stocks (j’avais proposé 4 mois sur les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, la commission a réduit cette durée à 2 mois, en acceptant le principe d’un stock minimal pour tous les médicaments) et en ajoutant quelques amendements dont celui de la rapporteure générale, Stéphanie Rist, qui interdit la publicité sur les médicaments essentiels qui sont en situation de pénurie.
La prochaine étape sera le jeudi 29 février, avec l’examen en séance de la proposition de loi. Cette fois, le Gouvernement sera présent.