1,2,3 Questions – Vadim SHEKMAN

Vadim SHEKMAN, directeur du réseau médical privé Dobrobut, Ukraine

Que représente le groupe Dobrobut dans le système de santé de l’Ukraine ?
Composé de deux établissements MCO majeurs et de quinze cliniques de taille réduite, répartis sur l’ensemble du territoire, le réseau médical privé Dobrobut est actuellement l’un des plus grands opérateurs de soins de santé privés en Ukraine. Son expansion a réellement démarré en 2015, avec l’ouverture d’un hôpital multidisciplinaire à Kyiv. De multiples acquisitions et constructions de nouveaux centres ont suivi et Dobrobut a été le seul acteur privé en Ukraine à traiter des patients Covid au début de la pandémie.

Actuellement, nous accueillons plus de 120 000 patients par mois et offrons plus de 75 spécialités médicales et chirurgicales, de même un service d’urgences. Nous sommes par ailleurs dotés d’une flotte d’ambulances constituée de 22 véhicules, dont 14 ont été mis au service des efforts de guerre dès le second jour de conflit.

Avant la guerre, nous avions des projets de développement très ambitieux pour devenir un acteur de soins de premier plan au niveau national. En février 2022, nous avons dû mettre nos projets en attente et réagir pour pouvoir continuer à assurer l’offre de soins à tous les Ukrainiens, dès les premiers jours du conflit.

Comment avez-vous géré les premiers mois de guerre ?
Dès avril 2022, nous avons réouvert la majorité de nos cliniques de soins ambulatoires et amorcé des coopérations avec des ONG internationales. Nous avons également ouvert des centres de soins à Lviv et Ivano Frankivsk, dans l’ouest de l’Ukraine, pour accueillir les personnes déplacées. Depuis, nous dispensons des soins de santé humanitaires aux patients les plus gravement touchés, avec le soutien de fonds caritatifs.

Grâce à des dons à notre fondation caritative (Dobrobut Foundation), créée par un réseau de médecins, nous sommes en mesure de fournir des soins gratuits à des personnes civiles et des vétérans. Plus de 20 000 patients ont été accueillis gratuitement depuis le début des hostilités, pour des opérations en urgence et programmées, des consultations, des analyses médicales et pour de la réhabilitation. Les dons accordés à Dobrobut Hospital bénéficient uniquement aux patients.

Comment envisager l’avenir de votre groupe en temps de guerre ?
La résilience est la seule solution pour avancer en de telles circonstances. Arrêter notre activité n’a jamais été une option. En septembre 2022, nous avons pris la décision de reconstruire l’un de nos hôpitaux à Kyiv (Left Bank, ex. Boris Hospital) et de maintenir nos services, malgré les attaques par missiles des infrastructures civiles et des hôpitaux. Jusqu’en juin 2023, 240 centres de soins et hôpitaux ont été touchés et 39 complètement détruits. Nous avons investi dans des générateurs diesel pour assurer notre approvisionnement énergétique en cas de coupure.

Nous développons actuellement de nouveaux projets d’hôpitaux de réhabilitation à Kyiv, ainsi que de nouveaux centres de soins ambulatoires.

Pourriez-vous brosser un portrait du système de soins en Ukraine ?

L’organisation des soins de santé publique en Ukraine trouve ses origines dans l’Union Soviétique ; c’est-à-dire un système public gratuit, avec ses faiblesses, car aucun pays au monde ne peut fournir des soins totalement gratuits et illimités, certainement pas un pays aussi « pauvre » que l’Ukraine.

Actuellement, 90 % des établissements de santé relèvent du secteur public. Sous-financés et inefficaces, ils sont officiellement gratuits, mais d’importants « paiements en sus » sont exigés pour obtenir un traitement. La valeur des paiements directs non officiels effectués dans le cadre du système public a été estimée entre 25 et 40 % des dépenses totales de santé*. Avec l’introduction d’un nouveau mécanisme de financement reposant sur un payeur unique, une réforme globale des soins de santé avait débuté en 2017. Seuls les soins primaires ont pu bénéficier d’une réforme partielle. Les progrès ont été balayés par la pandémie, puis par la guerre…

Entre 2010 et 2021, la recherche de qualité des soins par les patients a été le principal moteur de la croissance du secteur privé. Entre 2015 et 2021, l’augmentation de dépenses de santé en faveur du secteur de santé privé est estimée à plus de 20 %. Toutefois, l’offre de soins privée reste limitée, si l’on exclut Dobrobut, principalement en raison d’un manque d’investissement et d’un secteur privé fragmenté.

Qu’en est-il du système de santé depuis le début de la guerre ?

Le système de santé ukrainien a relativement bien résisté à cette guerre dévastatrice. En 2022, le gouvernement a assuré un financement stable des soins de santé grâce au soutien financier et technique de donneurs étrangers. À ce jour, de nouveaux défis émergent du fait d’un accès inégal aux soins médicaux dans les territoires occupés et en guerre, de la destruction des infrastructures de santé, de la perturbation de la chaîne d’approvisionnement et de l’absence de données. Ces tensions sont exacerbées par les mouvements migratoires. L’Ukraine doit faire face à un dépeuplement sans précédent, y compris des personnels de santé. On estime à 14 % la réduction des effectifs médicaux. De plus, des pathologies : accidents vasculaires cérébraux, infarctus du myocarde se multiplient. Ce phénomène est en partie dû au vieillissement de la population ukrainienne.

Interview réalisée en collaboration avec l’UEHP. Vadim Shekman s’est exprimé au conseil d’administration de l’UEHP organisé par l’association Polonaise des hôpitaux privés (OSSP) à Varsovie les 14 et 15 septembre 2023.

*Source: Pro-Consulting, HC estimations