Dr François ESCAT, Président du SNUHP (Syndicat national des urgentistes de l’hospitalisation privée)
Comment se portent les services des urgences en France ?
Aux urgences, les équipes s’épuisent…
Les conditions de travail nous donnent l’impression d’être dans un tunnel sans issue. L’activité augmente et les patients qui se présentent sont lourds à prendre en charge. Les unités d’hospitalisation de courte durée (UHCD) deviennent des services de très courts séjours gériatriques.
Dans les EHPAD en cas de problème, le veilleur de nuit ou l’aide-soignant de garde sollicitent le SAMU pour des personnes âgées polypathologiques. Le pronostic vital de ces personnes est engagé mais les urgences ne peuvent plus rien faire. Ils sont extrêmement lourds à gérer et nous ne disposons pas de l’équipe médicale adaptée. Nous travaillons mal et nous sommes mécontents.
La logique de prise en charge sans tenir compte du critère d’âge, nous amène à des horreurs. Nous infligeons à nos patients des choses que l’on refuserait pour nous et pour les gens que l’on aime. Personne n’a envie de mourir seul sur un brancard branché à une machine bruyante dans un service d’urgence.
Il est anormal qu’un médecin urgentiste termine une garde et éclate en sanglots dans sa voiture.
N’y a-t-il pas un renouvellement des équipes ?
Les équipes vieillissent, la relève tarde à venir et quand la jeune génération se présente, elle refuse de travailler dans ces conditions. Dans notre service des urgences, nous sommes deux médecins le jour, un la nuit pour 130 patients. Ce rythme délirant est dangereux pour tous. De plus, dans les zones touristiques, il s’accélère l’été.
Le Diplôme d’étude spécialisé de médecine d’urgence (DESMU) inclut dans sa définition une formation polyvalente en soins d’urgences, régulation médicale, urgences extrahospitalières, réanimation et urgences pédiatriques. Dans la pratique, en 4 ans, un médecin urgentiste ne réalise qu’un seul stage aux urgences. Il fait du bloc, du SAMU, de l’unité de soins intensifs cardiologiques (USIC) mais il n’apprend pas à faire un plâtre, des sutures. Il ne sait pas trier les patients qui se présentent non-stop pour extraire les 1,6 % de CCMU 4 et 5 (classification clinique des malades des urgences) pour lesquels le pronostic vital est engagé. Faute de relève, les services vont fermer. À quelques rares exceptions près, les jeunes diplômés arrivent, font une journée, pleurent et s’en vont. Dans l’Oise, 26 internes avaient choisi médecine d’urgence ; en 6 mois d’exercice, 25 ont fait jouer le droit au remord.
Du fait du DESMU, les médecins généralistes ne sont plus autorisés à travailler dans les services d’urgence. Pourtant un urgentiste est un médecin généraliste habitué à pratiquer des gestes techniques.
Existe-t-il une lueur d’espoir ?
Les réponses du gouvernement, quand elles sont positives, ne sont pas appliquées. La Mission flash sur les urgences et les soins non programmés – indemnité versée aux urgentistes qui assurent une garde – promulguée le 10 juillet 2022 n’est toujours pas appliquée dans toutes les régions.
La réforme du financement des urgences s’est soldée pour les urgentistes par une petite baisse d’un côté, une petite hausse de l’autre. Cependant, la réduction de la majoration de 10 euros pour les urgences entre 20 et 22 heures a été mal perçue.
Nous devons trouver suffisamment de médecins urgentistes pour faire le travail correctement et accepter dans l’immédiat de perdre en rentabilité. Un service d’urgence génère un volume d’activité qui permet de garder des spécialistes.
Les protocoles, règles, et la crainte du procès nous amènent à faire n’importe quoi. Nous devons retrouver notre part d’humanité et de gentillesse.