Rodolphe BOURRET, directeur général du Centre Hospitalier de Valenciennes
Le CH de Valenciennes est géré selon le modèle américain des « magnet hospitals », une méthode de management attractive qui donne une large part de délégations aux médecins et aux équipes.
En quoi consiste la particularité de votre management ?
Il consiste en un système totalement inversé. Ce management donne une large part de délégations aux médecins et aux équipes : 90 % de mes prérogatives de directeur sont délégués aux 14 pôles. Un chef de pôle recrute son personnel, achète les équipements, réalise les travaux nécessaires, et gère son budget. Les pôles sont des donneurs d’ordre et ne dépendent pas d’autorisations administratives. Dans sa forme centrale, l’administration est très réduite et joue un rôle d’expertise et de coordination, d’accompagnement des pôles. L’objectif est de responsabiliser les acteurs, leur donner l’autonomie nécessaire pour accélérer les actions dans un environnement simplifié. Une décision génère immédiatement une action.
Le modèle du CH de Valenciennes, premier CH général de France, est unique. Déployé depuis dix ans, ce nouveau mode de management a fait ses preuves : l’établissement dégage des marges positives depuis huit ans et son activité s’est accrue de plus de 100 %.
Je dois ajouter que nous bénéficions d’une maquette médicale relativement complète en tenant compte des tensions actuelles qui pèsent sur l’ensemble de nos établissements, l’établissement jouit donc d’une forte attractivité médicale. Nous disposons de toutes les autorisations à l’exception des greffes, des grands brûlés et de la chirurgie cardiaque sur laquelle nous travaillons. S’ajoutent des équipements à la pointe de la technologie : récemment l’acquisition d’un robot chirurgical, l’ouverture d’une deuxième chaîne d’analyse au laboratoire, le renouvellement des équipements en radiologie, d’un automate de dispensation en pharmacie, etc.
Comment ce management s’est-il mis en place ?
Des facteurs ont permis ce changement. Tout d’abord, la loi HPST a ouvert de nouvelles possibilités de délégations aux pôles, en particulier celle essentielle de la gestion des ressources humaines et financières. De nombreux établissements s’en sont emparés mais ne sont pas allés jusqu’au bout. La création de notre SOS main en moins de deux ans est un bon exemple. Le chirurgien chef de service a instruit le dossier, l’équipe du bloc a construit le budget, je ne suis intervenu qu’au niveau du directoire où avec le président de CME nous avons donné le feu vert.
Un autre facteur est de trouver les bons leaders qui vont enclencher le processus dans les pôles. Il faut s’appuyer sur une communauté. Une fois lancé, plus personne ne veut faire marche arrière. Vous ouvrez une porte de liberté que personne ne veut refermer. Cette approche développe l’envie de faire, de créer. Manipulateur radio, infirmière, médecin, celui qui a l’idée, la réalise. Le chef de projet ne gagne pas sa place par sa position hiérarchique mais par sa compétence. L’hôpital vit ! Mon rôle est plutôt de contenir les innombrables idées qui se développent.
Le modèle du CH de Valenciennes est-il duplicable ?
Absolument, il peut être appliqué par tous les établissements CHU, CH, ESPIC, clinique. Nous ne sommes pas dans une bulle, et rencontrons exactement les mêmes difficultés que toutes les structures de soins. Le territoire de Valenciennes n’est pas facile. Nous connaissons aussi un turn-over des équipes, comme partout, elles sont épuisées après deux ans de Covid. Nous cherchons la bonne adéquation en permanence. Chez nous, les pairs se parlent entre eux et les équipes entre elles. Je découvre le journal interne réalisé par le président de la CME en même temps que les salariés.
Notre modèle s’inspire du modèle américain des « magnet hospitals » créé en 1983 par des structures privées qui s’interrogeaient sur comment être plus attractives ? Aujourd’hui 500 établissements sont labellisés dans le monde dont celui d’Anvers en Europe. Ce sont d’excellents établissements comme la Mayo Clinic aux États-Unis par exemple. La gouvernance polaire est conduite par le trio : médecin / cadre soignant / cadre administratif ; elle n’est pas descendante, la place de chacun est au bon endroit. Les établissements privés sont à l’origine du modèle et devraient aussi s’en inspirer en France. C’est ce qu’a fait la Clinique Pasteur à Toulouse. Nous sommes aussi la preuve que, malgré des contraintes fortes, ce modèle est applicable à l’hôpital public.
Les éléments bloquants sont le poids des habitudes, le poids des certitudes et la peur du changement. En France, le modèle pyramidal est très ancré, on peut appeler un changement de ses vœux mais il faut ensuite le mettre en œuvre. La peur du changement est profonde et je déplore que cette conduite ne soit pas enseignée et mieux appliquée.
CH de Valenciennes en chiffres :
- 5 500 agents
- 500 millions d’euros de chiffre d’affaires
- Établissement support d’un GHT de 14 établissements
- Bassin de population : 850 000 habitants
Rodolphe Bourret a publié en 2021 avec Jean Guicheteau et Philippe Jahan « La transformation de l’organisation hospitalière » chez LEH éditions.