Pr Dominique Le Guludec, présidente de la Haute autorité de santé (HAS)
Le temps s’accélère, l’information et les opinions deviennent binaires. Vous présentiez récemment la HAS comme une « machine à consensus », ce qui demande un temps long. Comment la HAS s’accorde-t-elle de cette situation ?
Un des rôles de la HAS est de produire du consensus sur des sujets sur lesquels différentes opinions et différents intérêts s’expriment. La recherche d’un consensus demande un temps long car il est travaillé, fouillé, et repose sur des données scientifiques. Or la science est encore ténue concernant l’épidémie. Nous avons fait appel à l’expérience professionnelle. Toutes les réponses rapides apportées par la HAS ont été co-produites avec les différentes CNP, représentants des usagers, etc. Pour les avis concernant les produits de santé, nous avons renforcé certains groupes d’experts par des groupes d’appui afin de mettre autour de la table toutes les parties prenantes et atteindre le meilleur consensus possible dans une période d’incertitude.
À propos de l’oxygénothérapie à domicile, nous souhaitions avancer des solutions pour permettre aux patients de rentrer plus vite à domicile et soulager des hôpitaux en grande tension dans certaines régions mais nous avons manqué de temps pour obtenir un consensus. Cela est arrivé rarement. Chaque sujet est complexe et doit être traité rapidement. Le temps long n’existe pas encore pour le covid.
Nous nous sommes adaptés en conservant nos fondamentaux. Nous avons modifié nos méthodes et les avons d’ailleurs publiées.
L’esprit scientifique est challengé par l’éclosion médiatique « d’experts » mais aussi par le tâtonnement empirique de la lutte contre le virus. Selon vous, l’objectivation des données et la qualité et l’indépendance des experts sont-ils des pré-requis encore plus impérieux ?
Le niveau de l’expertise basée sur la science et l’expérience est d’autant plus nécessaire en période de crise. La HAS n’a pas d’opinion, nous produisons des avis consensuels construits selon une méthode qui fait la légitimité de ces avis. Nous nous sommes bien gardés d’aller sur les plateaux TV quand nous n’avions pas d’explication, en revanche, nous nous sommes exprimés quand un discours pédagogique était nécessaire. La HAS a exercé son rôle dans le cadre de ses missions et exclusivement celles-là. En période de crise, il ne faut pas de cacophonie et chacun doit jouer sa partition.
Notre déontologue a fait un travail remarquable dans l’urgence pour vérifier les liens d’intérêts des experts et nous avons poursuivi notre travail dans la plus grande transparence. Nous étions et sommes toujours très sollicités par les professionnels de santé, les pouvoirs publics, les usagers. La HAS a ce privilège énorme d’être indépendante du politique comme des lobbies.
Nous donnons des avis, non pas désinsérés de la société mais néanmoins indépendants du politique. C’est très important de garder ce cap. Cela n’empêche en rien qu’ensuite les décisions politiques s’appuient sur des aspects sociétaux, économiques majeurs mais le scientifique reste scientifique et cette séparation, cette absence de confusion est absolument fondamentale en particulier en temps crise.
L’année 2021 démarre, quel est le mot clé que vous souhaiteriez partager avec les professionnels de santé ?
J’aurai deux mots : tenez bon et vaccinez vous ! Tenez bon car nous ne sommes pas au bout de nos peines. 2021 va être encore une année difficile, il nous faut avoir le courage de tenir. Jamais les métiers du soin n’ont été autant valorisés, et leur utilité aussi apparente, c’est un stimulant. Enfin, vaccinez-vous !