Claude Evin, avocat au barreau de Paris
Selon vous, cette situation épidémique va-t-elle interpeller davantage la responsabilité pénale des directeurs d’établissements ?
Une crise est un moment particulier, elle crée de la tension, de l’angoisse, de la défiance envers la sphère politique et les décideurs.
D’une manière générale, la crise interpelle les responsabilités et génère davantage de contentieux.
La responsabilité du chef d’établissement pourra être mise en cause par des salariés qui considèreront qu’ils n’ont pas bénéficié de toutes les mesures de protection. Si la sécurité du personnel est une question permanente, elle a pu être plus difficile à assurer en période de crise. Si la crise exacerbe des situations, il s’agit parfois du prolongement de difficultés préexistantes mal traitées. De même, des patients pourront contester leur prise en charge. De plus, des « prédateurs » fleurissent à la faveur des crises. Personne n’est à l‘abri. Néanmoins, il n’y a pas de raison de paniquer.
Qu’en est-il en particulier du risque de mise en danger de la vie d’autrui ?
Recourir à la plainte vise à trouver un responsable qui doit être puni. Mais le contentieux peut ne rien soulager du tout et créer beaucoup de frustration. Vous ne pouvez pas être accusé de tous les maux de la terre. La responsabilité pénale répond à des textes.
En particulier, pour que la responsabilité pénale du chef d’entreprise soit engagée dans le cas de la mise en danger de la vie d’autrui, il faudra réunir 3 conditions qui sont cumulatives : un risque immédiat de mort ou de blessure, la violation manifestement délibérée des obligations de sécurité ou de prudence imposées par la loi, et un lien de causalité immédiat.
La responsabilité est appréciée en fonction des textes mais aussi d’une situation. Il sera nécessaire d’aller rechercher le contexte, en particulier de crise, dans lequel cette situation a eu lieu : des décisions ont été prises pour répondre à un contexte particulier assorti de contraintes, dans un caractère d’urgence, au regard des données épidémiologiques connues à ce moment précis, etc.
Outre les 2 décrets spécifiques Covid sur les mesures d’hygiène et les gestes barrière, les indicateurs de vigilance (guides, etc.) ne sont pas, selon moi, des obligations et n’ont pas un caractère règlementaire ou légal nécessaire pour caractériser une violation.
Que conseillez-vous aux chefs d’établissement ?
Il faut anticiper et veiller à tout ce qui peut être fait pour prévenir l’apparition de différend. Anticiper par le dialogue, identifier les ruptures de ce dialogue, et entretenir une relation de confiance. La procédure contentieuse ne règle pas les tensions sociales.
La médiation est une démarche essentielle pour prévenir le contentieux. Les dispositions prévues dans le code de la santé publique ne sont pas nécessairement adaptées. Il ne faut pas hésiter à prendre des initiatives avec des médiateurs formés et indépendants de l’établissement. Dans certaines procédures, un juge pourra d’ailleurs aller chercher si des tentatives de médiation ont eu lieu. Mais il n’est ni nécessaire ni opportun d’attendre d’être dans une procédure ou un contentieux pour mettre en œuvre une médiation.
Concernant les conditions de travail des salariés, la mise à jour du document unique d’évaluation des risques est fortement conseillée. Surtout, il faut tracer ce qui a été fait, ainsi que le contexte dans lequel les décisions ont été prises, afin de pouvoir les justifier. Il faut être rigoureux.
Dans tous secteurs d’activité confondus, on constate une recrudescence des plaintes, mais les tribunaux n’arriveront pas à faire face, d’où la nécessité de trouver des solutions à l’amiable.
Sous réserve de l’interprétation souveraine du juge, il apparaît peu probable que la responsabilité pénale d’un dirigeant soit engagée dès lors que toutes les mesures règlementaires ont été mis en place.