1,2, 3 Questions du 06/07/20

Nicolas Daudé, directeur général de la Polyclinique Saint Privat, Boujan-sur-Libron (34)

Tester nos patients en 50 min

Nous disposons sur site du plateau technique d’un laboratoire national, ce qui nous permet de tester tous nos patients de chirurgie réglée et toutes les urgences avec des résultats en 50 min pour les situations urgentes. Ainsi, nous avons rouvert les chambres doubles qui, de plus, sont équipées de paravents entre les deux lits.

Nous sommes désormais à 80 % d’activité pour la chirurgie, et 70 % pour l’endoscopie. Le plus pénalisant reste le maintien de l’extubation en salle d’opération pour éviter de trop limiter la capacité de la SSPI. Les patients étant testés, c’est une précaution supplémentaire qui peut paraître surabondante et qui est un frein au déroulement normal de l’activité. Mais l’évolution très récente des recommandations de la SFAR devrait lever cette contrainte.

Nous connaissons des tensions sur les cinq molécules, même si les dotations de l’ARS augmentent de semaine en semaine. Celles en masque suffisent à nos besoins. En revanche, nous manquons de façon récurrente de sur-blouses et de kits pour les patients et nous mettons en place des solutions alternatives avec des tenues en tissus.

Depuis le 11 mai, notre reprise se fait de façon mesurée dans le respect des mesures de sécurité et d’organisation des flux des patients dans l’établissement. Les chirurgiens justifient l’inclusion de leurs patients pour la chirurgie réglée, en tenant compte de la perte de chance et de la dégradation des conditions de vie (douleur, impotence fonctionnelle, incapacité professionnelle …). Avec les seules urgences et la cancérologie non différable, nous avions durant la crise environ 30 % de notre activité habituelle. Un étage complet de 80 lits pour des patients atteints du Covid était opérationnel au cas où le CH de Béziers n’aurait pas pu faire face à la vague qui heureusement n’est pas venue.

La crise a généré chez nous un déficit de prise en charge d’environ 2 000 patients. Ce déficit ne se réduit pas à ce jour du fait que nous opérons toujours moins de patients qu’à l’accoutumée. Nous nous sommes organisés pour ouvrir plus de créneaux opératoires cet été si nécessaire en limitant les congés des personnels soignants.

Une vague de touristes ?

Une spécificité de notre région est l’accueil de plusieurs centaines de milliers de touristes l’été sur le littoral, avec des besoins classiques en soin d’urgence de traumatologie, urologie, chirurgie digestive. Cela génère de fortes incertitudes, entre des risques spécifiques de clusters Covid et possible 2e vague, et sur le niveau d’activité lié aux urgences, dépendant de la venue ou pas des touristes cet été. Un point hebdomadaire est fait en cellule de coordination avec l’ARS et les autres établissements du secteur afin de se préparer à cette potentielle vague induite par l’arrivée des touristes.

Les praticiens ont été les oubliés du dispositif d’aide alors que par ailleurs ils ont été très à l’écoute tout au long de la crise. Quand j’ai lancé un appel à candidatures pour l’ouverture de secteurs Covid éventuels, 14 médecins et de nombreux soignants se sont mobilisés pour se former et être prêts à prendre un poste au pied levé. Pendant 2 mois, ils sont restés l’arme au pied dans à peu près toutes les spécialités et très demandeurs de reprendre. Nous avons voulu les accompagner le plus vite et le mieux possible.

Avec les salariés, nous avons communiqué en temps réel les difficultés rencontrées. Le télétravail organisé dans un temps record a généré un choc culturel en interne, des deux côtés, managers et salariés, et se révèle finalement une très bonne expérience que nous avons décidé de transformer pour ceux que cela intéresse en pérennisant une partie de leur activité en télétravail.

Avant, pendant et après la crise, nous avons toujours les mêmes incertitudes : comment assurer les soins et les reprendre, et si une deuxième vague arrive, comment fait-on pour re-stopper ? Je n’ai pas mis en œuvre la formalité pour lever le Plan blanc, sachant que dans tous les cas, notre posture interne restera la même de vigilance et réactivité.

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Éric Louche, directeur de l’Hôpital Privé de Versailles et du Pôle IDF OUEST Ramsay Santé comprenant également l’Hôpital Privé de Parly II, au Chesnay et de l’Hôpital Privé de l’Ouest Parisien à Trappes

Une procédure qui rassure l’ARS et l’ensemble des professionnels

Nous réalisons actuellement près de 80 % de notre activité habituelle. L’activité chirurgicale a ainsi pu reprendre de manière partielle et progressive. Les chirurgiens souhaitant réaliser les interventions remplissent lors de l’annonce opératoire, une grille d’analyse collégiale bénéfice/risque. En réunions pluridisciplinaires – RCP – deux fois par semaine, les chirurgiens, les anesthésistes et l’encadrement du bloc opératoire étudient l’ensemble des grilles. Les interventions que nous réalisons aujourd’hui restent des urgences, des patients avec une perte de chance et les patients reportés durant la crise et ne pouvant plus être décalés. Ainsi, une opération de confort pourra être reportée tandis qu’un patient atteint d’un cancer, même s’il ne souffre pas, pourrait voir son cas s’aggraver si l’opération était repoussée. Ce sont les médecins qui motivent leur demande d’intervention via la grille, qui est ensuite arbitrée en RCP.

l’Hôpital Privé de Versailles a mis en place des mesures préventives : à l’entrée, les visiteurs ou patients sont questionnés : Avez-vous de la fièvre ? Avez-vous été en contact avec une personne Covid-19 ? Avez-vous des symptômes (toux, gêne respiratoire) ? Dans l’enceinte de l’établissement, le port du masque est systématique et obligatoire ainsi que la désinfection des mains au gel hydro alcoolique via un distributeur.

L’Hôpital s’est également organisé afin de respecter les mesures de distanciation

Tous les patients réalisent un test PCR dans les 48-72h précédant leur admission. L’accueil en chambre double reste exceptionnel et doit répondre à des critères d’éligibilité stricts.

Nous conservons des lits Covid qui sont armés en cas de nouvelle vague, ainsi que deux salles de blocs opératoires dédiées pour la prise en charge chirurgicale des patients Covid. Tout le reste de l’établissement est Covid free et cela nous permet d’assurer une prise en charge en toute sécurité des patients.

De plus, pour limiter les contacts physiques auprès de nos personnels des admissions, nous avons encouragé les patients à l’utilisation du portail Ramsay Services pour réaliser en ligne les démarches administratives liées à la préadmission ; ces dernières ayant augmenté de plus 10 % sur la période de la crise sanitaire. De plus, le recours à la téléconsultation a également été un levier important permettant aux médecins de rester le plus possible en lien avec leurs patients.

Soucieux de la satisfaction de nos patients, nous avons mis en place des questionnaires de satisfaction dans plusieurs services afin de mesurer leur ressenti sur l’organisation mise en place dans le cadre du Covid. Les retours sont positifs et encourageants : sécurité lors de la prise en charge, disponibilité des EPI et distanciation respectée.

La crise Covid et le post Covid peuvent s’illustrer, pour l’ensemble des professionnels, comme un ascenseur émotionnel sans précédent.

Nous avons pu compter sur l’investissement sans faille de chacun et d’un engagement collectif exemplaire. À l’échelle du territoire le premier enseignement sera celui d’une disponibilité totale de tous les acteurs concourant au soin ; les établissements publics et privés ont travaillé main dans la main et de façon déterminée pour passer la vague.

La gestion de cette crise a été possible grâce au concours de nos Tutelles et de tous les professionnels, médicaux, paramédicaux et administratifs qui ont témoigné, tout au long de la crise sanitaire, d’un engagement sans faille.

Je tiens à tous les remercier du fond du cœur.

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Alain Carrié, directeur de la Clinique Saint-François, Chateauroux (36)


Une juste proportionnalité des précautions

Finalement, la reprise d’activité s’avère plus compliquée à gérer que la crise elle-même. En mars, après la « sidération » initiale surmontée, nous avons pris en charge une trentaine de patients atteints du Covid. L’engagement de tous les professionnels de santé pour combattre la maladie a été total, il n’y a eu aucune réserve pour accepter les contraintes nées de la réorganisation des services de soins. La problématique des patients asymptomatiques pouvant transmettre la maladie nous inquiétait en revanche beaucoup plus. Si dans la santé en général nous visons un niveau de maîtrise des risques aussi élevé que possible, nous vivons quotidiennement dans une logique probabiliste, sans certitude absolue. Or la gestion de cette épidémie a laissé penser que nous devions être garants d’une certitude de résultats. Comment pouvions-nous être certains du statut « non-Covid » alors que tout nous poussait vers celui de « Covid incertain » ? De ce point de vue, la situation opérationnelle a été compliquée à gérer rationnellement.

Aujourd’hui, nous sommes à un carrefour de nombreux objectifs, obtenir des équilibres et des consensus peut s’avérer contradictoire : rétablir le lien de confiance avec la patientèle pour les inciter à retrouver le chemin des soins, prendre en compte les aspirations de la communauté des professionnels libéraux dont la situation financière de certains est précaire, respecter les recommandations de prévention – le virus circule toujours, il faut rester vigilant -, être à l’écoute d’un climat social sensible, gérer les pénuries d’approvisionnement, etc.

Définir, faire accepter et respecter le bon niveau de précautions au regard de la dynamique épidémique locale est complexe, ce d’autant plus que celle-ci se ralentit très significativement. Les nombreuses recommandations ne sont pas toujours très réalistes du point de vue de leur traduction sur le terrain. Quel est le niveau suffisant de sécurité qu’il faut collectivement se donner ? Comment rassurer les salariés, adapter le document unique d’évaluation des risques professionnels ? Comment « rattraper » les soins reportés pendant le confinement ? Pour notre part, nous demandons aux médecins de renseigner une fiche de traçabilité de la réflexion bénéfice-risque intégrant le risque supplémentaire lié au coronavirus et nous avons intégré dans notre dossier patient un questionnaire d’évaluation clinique du risque de contagiosité renseigné pour chaque admission. Les tests et autres examens complémentaires sont décidés par chaque médecin en fonction du contexte individuel de son patient. Nous allons vraisemblablement observer dans les mois qui viennent les conséquences sanitaires de ces reports.

La deuxième difficulté, que je n’avais personnellement pas anticipée, est la nécessaire « re-synchronisation » de tous les acteurs du parcours de soin : les consultations des chirurgiens, des anesthésistes, les préadmissions, la gestion des lits, etc. Tout ce que nous faisions de façon fluide auparavant sans en avoir véritablement conscience doit être remis en ordre. Recréer une file active de chirurgie programmée n’est pas si simple !

En parallèle, nous connaissons toujours des tensions dans les approvisionnements, un peu moins pour les médicaments. Mais les stocks d’EPI sont toujours bas et nous allons très probablement devoir mixer usage unique et réutilisable.

Enfin, après que le confinement nous ait conduit à découvrir les bénéfices de l’organisation des réunions par audio/visioconférence, notamment le gain de temps, j’ai le sentiment que le nombre de réunions reste très élevé. Là aussi, entre virtuel et présentiel, peut-être faudra-t-il que nous réinventions le point d’équilibre !