1,2, 3 Questions du 29/06/20

Isabelle Bielli-Nadeau, directrice du Centre Médico Chirurgical Les Cèdres, Brive-la-Gaillarde 

Une reprise avec de nombreux freins

La reprise d’activité est difficile car nos médecins, très bons professionnels, veulent renouer au plus vite avec une activité normale, limitée par les mesures de sécurité. Nous étions à 30 % en avril, puis 60 % en mai, et aujourd’hui nous réalisons 76 % de notre activité normale. Lors de la reprise en mai, tous les personnels et les médecins ont été testés, et en routine, tous les patients programmés le sont. Les freins à la reprise sont nombreux et notamment la réouverture des chambres doubles, un point sensible avec les praticiens. Les présidents de CME ont été très proches des directions, et ils ont fait face à la lourde charge que sont les relations avec leurs confrères durant ces situations de crise et de reprise.

Concernant les équipements de protection, leur approvisionnement demeure difficile et à des prix qui s’envolent. C’est un réel frein pour les 2, 3 mois qui viennent. Celui des molécules est à géométrie variable et les conditionnements ou les dosages des produits reçus ne correspondent pas à nos pratiques, il faut donc être extrêmement vigilant. Récemment, sur réquisition de l’ARS, nous avons donné 260 Propofol à l’hôpital et l’avons dépanné en curare.

Notre ARS était très absente en début de crise et a mis du temps à se mettre en marche. Nous avons travaillé avec l’hôpital de Brive du mieux possible et avons soigné la population atteinte du Covid ou non. En aquitaine, au titre de la 1re circulaire, et alors que nous étions « établissement associé de 2e ligne », nous avons touché 0 euro, malgré l’accueil de beaucoup de patients Covid+ et la preuve de notre engagement par exemple en envoyant une douzaine de salariés à l’Hôpital Henri Mondor à Paris. Je ne me plains pas d’avoir un chiffre d’affaires de 2019 garanti, mais avec l’arrivée récente de 8 nouveaux chirurgiens, cette situation ne correspond pas du tout à mes objectifs.

Enfin, la levée du Plan blanc relève étonnamment des directeurs d’établissement alors même que nous sommes dans un contexte de pandémie mondiale. C’est un transfert de responsabilité facile…alors que précisément là, nous attendrions des directives. Doit-on y voir de façon ironique une nouvelle autonomie ?

Je retiens que nous avons vu le pire comme le meilleur, je pense naturellement à l’engagement des équipes. La Corrèze a été un des départements les plus impactés de la région Nouvelle Aquitaine. Il fallait se battre contre quelque chose que nous ne connaissions pas et prendre les moins mauvaises décisions possibles. 

————–

Sébastien Mounier, directeur général délégué du Groupe St Joseph, Trélazé

Depuis le début, tout se passe bien

Avec mes collègues directeurs des établissements publics et privés du département, nous avons décidé collectivement de reprendre notre activité à 70 % en mai, et à 100 % à partir du 8 juin. Nous nous sommes naturellement engagés à réduire cette activité dès lors que l’épidémie reprendrait. Nous avons donné notre feuille de route à l’ARS. C’est bien dans ce sens, du terrain vers la tutelle, que cela s’est passé.

Entre directeurs, nous nous connaissons bien depuis longtemps et nos relations sont très bonnes, cette organisation s’est donc mise en place naturellement. Le CHU d’Angers avait la charge des patients atteints du Covid, nous avons pris en charge les patients non Covid et leur avons transféré nos patients testés positifs.

Les patients ont repris le chemin de la clinique.

Caméra thermique, questionnaire d’entrée, etc. tout le protocole est en place. Si en mai les patients avaient des interrogations, depuis le début du mois de juin, nous ne constatons plus de crainte et devons à l’inverse leur rappeler les gestes barrières. Nous avons remis en place notre organisation normale y compris l’utilisation des chambres doubles. Les tests PCR sont faits exclusivement sur les patients qui présentent une suspicion. Nous avons seulement conservé deux flux distincts au service d’urgence.

Le bon dialogue social ainsi que les bonnes relations avec le corps médical ont été très aidants et personne n’a contesté les décisions prises. À l’instar des autres établissements, nous avons connu une pénurie d’équipements de protection surtout en mars et avril. Aujourd’hui notre seule interrogation est la réquisition des molécules et sur ce point un manque de transparence de la part de l’ARS est à déplorer. Nous attendons le 10 juillet, date à laquelle, nous pourrons commander en direct auprès des laboratoires.

Enfin, même si la levée du Plan blanc relève juridiquement du chef d’établissement, j’ai demandé à l’ARS de me donner des consignes. Je pars du principe que c’est à l’ARS qui nous a ordonné de le déclencher, de nous indiquer quand le lever. Cette invitation est attendue début juillet. 

————–

Gérard Reysseguier, directeur de la Clinique Rive Gauche, Toulouse

Aujourd’hui, nous avons repris environ 80 % de notre activité

Cette reprise est plus compliquée que ne l’a été la crise elle-même. Les deux premières semaines de reprise étaient simples mais la difficulté est désormais de retrouver notre rythme normal que les médecins sont en droit d’attendre après 2 mois d’arrêt, même s’ils sont les premiers à être très prudents. Il a fallu rassurer les salariés sur cette reprise et prendre en compte la non reprise des écoles, et il faut veiller désormais à ce que personne ne relâche le respect des mesures de sécurité. Il faut aussi expliquer aux praticiens qu’un patient ne peut pas rentrer si un autre n’est pas sorti, que nous ne pouvons pas doubler les salles de bloc comme ils en avaient l’habitude, etc.

Nous avons dû rappeler tous les patients. Paradoxalement, la bobologie est revenue rapidement, mais il a fallu aller chercher les patients en cancérologie par exemple qui avaient peur. Sur ce point, les effets de la presse très anxiogènes ont été délétères.

Concernant l’organisation des consultations, nous filtrons sévèrement l’entrée des patients à partir des listes communiquées par les praticiens et acceptons 3 patients à l’heure. Des files d’attente s’étirent de fait devant la porte et nous avons beaucoup de difficultés à faire respecter à l’intérieur de l’établissement des règles que ces personnes ne respectent plus à l’extérieur. Également, le contingentement du propofol ralentit les endoscopies et les gastroentérologues nous rappellent à juste titre que des reports sont une réelle perte de chance pour le patient. Heureusement, les praticiens comprennent bien la situation, car ils sont impliqués dans la vie quotidienne de la clinique. À tout cela, s’ajoute la canicule.

On n’a pas été trop touché mais quelle galère !

24/24, 7/7, la crise Covid a été compliquée pour tous. Les équipes ont été littéralement extra-ordinaires, au point que c’est moi qui devait pousser certains soignants à exprimer leur droit de retrait. Aucun médecin n’a contesté les décisions prises et ont été très volontaires. En Occitanie, nous avons été particulièrement bien organisés avec une cellule de commandement pour l’ouest, et une pour l’est, selon un pilotage de l’ARS très efficace. Nous avons accueilli les patients non Covid transférés des établissements de 1re ligne, et quelques patients Covid+ atteints de pathologies vasculaires. En revanche, avec 3 900 naissances, deuxième plus grosse maternité de la ville, il nous a été demandé d’être autonomes.

Les mamans ont vécu leur accouchement accompagnées de soignants habillés en cosmonautes, ce qui n’est pas ce qu’on s’imagine de ce moment unique. De plus, la majorité des parturientes accueillies pour leur accouchement avec de la fièvre était orientée dans un circuit Covid. Avec deux filières Covid et non Covid, nous avons dû doubler les lignes de garde d’obstétricien, d’anesthésiste et de pédiatre. Mais comment maintenir l’environnement « cocooning » pour lequel les mamans nous choisissent aussi : l’attention, la place du papa, l’aide à l’allaitement, etc. ? Heureusement, nous nous sommes immédiatement coordonnés avec les autres maternités du territoire pour appliquer des mesures identiques, car les mamans très bien informées par Internet voulaient bénéficier de libertés autorisées ailleurs.

Enfin, je retiens de cette période de crise l’immense plaisir d’avoir passé mes journées dans les services et de retrouver le contact avec les équipes. Hormis la chirurgie et la maternité, nous n’avions quasiment pas de patients. Grâce à ces échanges, j’ai renoué avec le vrai sens de mon métier.