Vous observez le secteur hospitalier depuis 35 ans, quels sont les points que vous retiendriez ?
Tout d’abord, je noterais la restructuration spectaculaire de l’hospitalisation privée MCO.
Les cliniques MCO d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec celles que j’ai connues en 1985. Tout d’abord, leur nombre est passé de près de 1 300 à 530, mais à en juger par l’activité mesurée sur le nombre de séjours enregistrés dans le PMSI depuis 1997, sans trop d’impact sur l’activité globale. Puis, leur gestion est passée d’un mode artisanal à un professionnalisme éprouvé.
Ensuite, je soulignerais la frilosité du corps médical qui ne s’est pas emparé des opportunités offertes en commençant par la création de l’Anaes pour l’évaluation des pratiques et a laissé filer cette administration au profit de la HAS beaucoup plus administrative. Les médecins n’ont pas bougé non plus au passage à la T2A. À partir du moment où l’information médicale, donc délivrée par les médecins, conditionnait le financement de la structure hospitalière, on aurait pu s’attendre à ce que le médecin prenne le pouvoir dans la gestion de l’hôpital. Ce n’est pas ce qui s’est passé.
Je noterais ensuite le rôle de bouc émissaire joué par la T2A. Les modalités de financement antérieures étaient particulièrement pénalisantes et inéquitables pour le secteur hospitalier, que ce soit le budget global pour l’hôpital public, ou le tarif à la prestation pour les cliniques privées. Pourtant, on a fait porter à la T2A tous les malheurs du monde hospitalier.
On a oublié qu’avant la T2A personne n’avait jamais évoqué l’évaluation de la qualité des soins, les hôpitaux réduisaient leur activité nécessitant l’utilisation de molécules onéreuses ou de prothèses implantables à partir du mois de septembre de chaque année, on ne pouvait pas financer les investissements nécessaires. C’est même une des causes de la restructuration du secteur privé.
Bien sûr la T2A n’a pas tout résolu, et elle est moins adaptée à la médecine qu’à la chirurgie.
Mais elle a permis un début de prise de conscience des contraintes économiques par le corps médical.
Je remarque que parallèlement les structures administratives – ministère, CNAM, HAS, ATIH – se sont professionnalisées, et ont pris conscience que la santé ne se gère pas comme une autre activité.
Pourtant il reste dans l’esprit de bien des membres de ces institutions, que la médecine libérale constitue le pêché originel. Ils ne comprennent pas qu’un acte médical puisse donner lieu à une rémunération en argent. Ils ne comprennent pas non plus qu’un professionnel hospitalier public commet un abus au moins aussi répréhensible lorsqu’il néglige sa charge, qu’un professionnel libéral qui demande un dépassement sur un honoraire sous tarifé par l’Assurance maladie.
Enfin, en 35 ans le monde de la santé a changé puisque, du fait de l’apparente gratuité des soins introduite par l’Assurance maladie et l’absence totale de responsabilisation de la population, l’acte médical est devenu un objet de consommation courante.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Pour résoudre l’impossible équation du financement de soins non restreints, le ministère s’engage dans des schémas d’une complexité incompatible avec leur mise en œuvre.
Pourtant, il sera difficile de faire l’économie des trois points suivants. Le premier est une meilleure information de la population afin de progresser sur la voie de la responsabilisation des malades. Dans les centres de santé où les malades ne font aucune avance de frais, ils ne se présentent pas, sans prévenir, pour 20 % des rendez vous programmés. La deuxième est une meilleure formation médico-économique des médecins, dès la faculté, et plus généralement de toutes les professions de santé. La troisième est une plus grande latitude laissée aux médecins et aux gestionnaires d’établissements qui devront être évalués sur leurs résultats et non sur le respect des contraintes qu’on leur impose.
La santé n’a pas de prix mais elle a un coût, a-t-on l’habitude de dire. C’est ce coût si difficile à quantifier, qu’il faudra bien définir, en tenant compte des progrès technologiques et médicaux qui s’annoncent, en regard desquels les actuels déficits de l’Assurance maladie paraîtront anecdotiques. Il faudra forcément faire des sacrifices, parce que l’illusion d’une croissance illimitée ne pourra pas persister.