« Il faut entrer à nouveau en résonance avec les évolutions sociétales. »
Quelle est la situation des maternités privées en France aujourd’hui ?
Pour 140 maternités privées, nous devons être à peine une vingtaine d’acteurs : 34 appartiennent à Elsan, Ramsay Générale de Santé-Capio en a 30. Environ 70 sont indépendantes, moi-même, j’en ai 2. En ce moment, l’hospitalisation privée n’est pas en résonance avec la société qui est la nôtre. Elle veut imposer un style, alors qu’il faut s’adapter. Dans les années 70, on résonnait avec la société, et c’est pour cela que nous avions 40 % des parts de marché. L’hospitalisation privée était synonyme de liberté.
D’une manière générale, si nous voulons rester concurrentiels, il faut que nous élargissions notre champ de vision. Les maternités publiques ont beaucoup progressé, se sont modernisées, aussi il faut que nous nous différencions et imaginions les services de demain. En Chine, il existe par exemple ce qu’on appelle « le mois d’après ». Pendant un mois entier, l’accouchée se remet, dans un espace dédié… C’est l’idée d’un parcours de la naissance, qui n’est certes pas pris en charge à 100 %, mais qui peut être intéressant. Rien ne nous interdit de nous en inspirer ! Quant à la césarienne, de nombreux pays comme l’Angleterre l’ont intégrée comme un choix à part entière de la maman, sans dogmatisme. Les maternités privées peuvent tout à fait se profiler dans ce domaine, tout en continuant à proposer des accouchements physiologiques, selon le choix des mamans. De même, un atout des maternités privées est de pouvoir proposer un suivi et un accouchement par le même gynécologue-obstétricien, ce que le secteur public ne peut pas proposer. De nombreuses femmes souhaitent savoir qui va les accoucher, si c’est un homme ou une femme, etc. Les maternités privées sont choisies, il faut assumer ce choix.
La situation des maternités privées est difficile sur le plan financier. Avez-vous l’impression qu’il existe des leviers de développement que l’on a pas encore vraiment exploités ?
Nous avons arrêté de réfléchir. C’est ma conviction : nous sommes aussi fautifs. Il y a encore tellement à inventer. En plus, nous bénéficions d’un atout : l’effet Macron. Personne ne nous dit : vous ne pouvez pas, le code de santé publique nous l’interdit, etc. C’est la page blanche.
On se polarise par exemple sur l’obstétrique, alors qu’il faudrait ouvrir des lits de psychiatrie dans toutes les maternités, pour accueillir des enfants et des femmes qui ont des troubles psychiques liés à la naissance.
De la même manière, l’hôtel hospitalier doit aussi se réinventer. Mon hôtellerie, à Natecia, me paye tout mon immobilier. Je facture ma chambre privilège à 350 euros. Elle me rapporte 20 000 euros par mois, ce qui équivaut à plusieurs salaires. Mais le tarif doit se justifier car si je propose le même service qu’à l’hôpital, les patients ne vont pas être d’accord ! Certaines femmes veulent vraiment s’offrir, pour ce moment unique de la vie, quelque chose d’exceptionnel. Et cette chambre privilège me permet d’accueillir quelqu’un qui ne peut pas payer du tout. Dans mon établissement, j’ai trois lits pour les femmes seules sans abri qui ont des enfants en bas âge.
Autre piste : travailler sur le lien. Avec 67 % de couples non mariés, le mariage ne suffit pas à identifier le lien. Il faut travailler à le faire naître. Dans mes maternités, j’ai fait remplacer les lits de 90 cm par des lits de 160 cm. Les pères passent la première nuit avec la mère et le bébé. Et j’ouvre le bloc de césarienne aux pères, aux couples homosexuels… Il faut s’adresser à la pluralité de la société.
Que pensez-vous de l’initiative des « mille jours » ?
Nous sommes tous parents, ou grand-parents, et on se rend bien compte que dans les mille premiers jours d’une vie, il se passe une foule d’évènements exceptionnels : l’apprentissage de la marche, de l’alimentation, de la parole, etc. Cette initiative des mille jours repose sur une vraie projection dans le temps. Aujourd’hui, on se réfère au concept juridique de « fait générateur ». Mais depuis l’amiante, le paradigme a complètement changé. Ce n’est pas le fait générateur, c’est l’évènement lointain qui déclenche la procédure judiciaire. Si l’on transpose cette évolution juridique dans les maternités, le lieu où la vie commence, cela signifie qu’on pourra venir chercher chez nous une responsabilité dans 50, dans 60 ans, sur ce qui s’est passé dans nos murs, parce que nous aurons, par exemple, utilisé des produits inadaptés. Nous pouvons apporter facilement des solutions pour des produits sains et adaptés. Mais même sur ce point, le public est déjà en train de bouger, il réclame des labels. Au Comité pour le développement durable en santé (C2DS), ils avancent… Il ne va pas falloir se faire distancer là aussi. Il faut bouger sur les mille jours.