Santé connectée : progrès ou espionnage ?
Les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), MA (Microsoft, Alibaba) ou NATU (Netflix, Alibaba, Tesla, Uber) gèreront-elles notre santé demain ?
« Nous sommes chacun un nœud du système avec lequel nous sommes en symbiose. Les objets connectés sont des prolongements, des extensions de notre corps. Je préfèrerai parler d’objets intelligents qui sont interactifs, proactifs et en temps réel. Nous avons des prothèses symbiotiques » expliquait Joël de Rosnay, scientifique, lors de la « Convention on health analysis and management » organisée en septembre dernier par le professeur Guy Vallencien.
Un changement de comportement
Cette approche préventive de la santé boostée par des nouvelles applications elles-mêmes connectées à des objets intelligents est présentée par les experts comme une grande avancée, quand toutefois l’accessibilité de ces outils sera possible au plus grand nombre et en particulier auprès des populations rétives à la prévention. Autant d’applications aux utilisations quantifiables et mesurables qui peuvent ainsi trouver leur modèle économique.
« Ces objets connectés sont une aide et permettent aux citoyens de percevoir autrement les symptômes. Quand un médecin se plaint que son patient ne suit pas ses prescriptions, avec ces objets c’est aujourd’hui possible. Il reste un point de responsabilité car il faut être sûr qu’ils sont fiables (…) Nous sommes sur des changements de comportements, nous sommes dans du dur. Le fait d’être connecté n’est pas une innovation en soi, c’est l’évolution naturelle de nos outils » précise le professeur Philippe Amouyel chercheur à l’Institut Pasteur Lille.
Le danger des « Big Data »
Les GAFA poussent le système nous disent les experts et bien que la place du médecin demeure très importante car il créé une valeur ajoutée que les GAFA se réapproprient, ces objets menacent l’intermédiation médecin-patient essentielle.
Des millions de données sont ainsi produites et agrégées par des « plateformistes ». Si l’agrégation est maîtrisée, l’analyse des données est loin de l’être. « On fait des liens statistiques mais il y a une foule de biais » alerte le professeur Philippe Amouyel. Selon Joël de Rosnay, quatre dangers apparaissent : la cyber médecine, c’est-à-dire que les recettes se partagent sur les réseaux, l’automédication sur internet, le risque des faux médicaments et l’utilisation des « Big Data ». « Oui, il faut les craindre », déclare-t-il, « ce sont des monopoles numériques. Quand nous, nous sommes des Etats-nations, verticalisés, ils sont transnationaux et travaillent dans le monde entier. Il y a « uberisation » c’est-à-dire qu’il y a une désintermédiation. Il ne faut pas s’opposer aux GAFA mais travailler en complémentarité. J’ai besoin de leurs moteurs de recherche, de leurs livres, etc. Mais moi je crée la valeur ajoutée qu’ils peuvent revendre à d’autres clients (…) Le médecin va devenir un conseiller de santé, c’est très noble ! Il est un conseiller en gestion de vie grâce à la maîtrise de ces outils. Il faut inventer la bionomie (la bio-économie), le management du corps, de soi-même. Le médecin sera un bionomiste qui s’appuiera sur les informations modernes ».
Mais qui contrôle l’utilisation des données s’inquiètent les experts ? « Il faut mesurer à chaque étape le bénéfice retiré. Il y a un vrai risque car que fait-on par exemple lorsque les données sont hébergées dans un autre pays inaccessible ? » interpelle Philippe Amouyel. « Nous devons travailler en complémentarité des bénéfices apportés. Ces technologies nous aident mais en échange n’oublions pas que nous leur apportons de la valeur ajoutée. Je crois enfin à la co-régulation citoyenne : les gens peuvent avoir un poids important, et limiter leur pouvoir numérique » ajoute Joël de Rosnay.
Une effervescence
Des nouveaux gadgets sortent tous les matins, mais les experts en sont sûrs, le marché va se stabiliser et 1% des applications d’aujourd’hui survivront car elles présenteront un réel bénéfice et seront reconnues par les tutelles. « Seules 113 applications médicales sur les 1,2 million sur le marché sont approuvées par l’institution américaine. Nous sommes en pleine effervescence mais pour le moment nous comptons des bûches, nous sommes loin de savoir analyser toutes ces données » précise Uwe Diegel, PDG de iHealthLabs Europe. « C’est le patient seul qui décide ou pas de partager ses données (…) Nous avançons vers une santé 3.0 où la technologie sera vite oubliée pour se concentrer sur les données. Passé cette agitation, nous allons vers une logique de responsabilisation du patient. Analyser ces données nous permet d’ouvrir de nouvelles portes de pensée ! »