Selon vous, la notion de « caring » est peu développée dans les établissements de santé. Expliquez-nous ce dont il s’agit. Je pense que cette notion de « caring » s’est historiquement développée dans l’approche soin en France. Elle renvoie en effet à la prévenance, l’attention, la compassion. Cependant le « caring » n’est pas réservé uniquement à la partie soin, mais aussi à tous les services périphériques aux soins. De quoi s’agit-il ? Il s’agit principalement de se mettre à la place du patient, des personnes accompagnantes, même des professionnels extérieurs à l’établissement de soin en n’imposant pas ses propres contraintes techniques ou métier. Pour être concrète, il s’agit par exemple de grouper différents rendez-vous auprès de différents services ou spécialistes, pour éviter au patient des visites espacées. Cette posture très basique n’est réalisable que si l’on se met réellement à la place du patient. Une récente étude réalisée en janvier 2013 a montré que plus de 80% des consommateurs sont prêts à payer plus pour une expérience plus positive. On s’aperçoit que cette expérience client plus positive repose sur la réponse à des attentes extrêmement simples comme un vrai accueil tout au long du parcours et une réponse personnalisée.Il s’agit là des bases de la relation entre deux personnes ! Cela n’empêche pas de suivre les procédures officielles, mais il faut une vraie prise en compte de la demande du client qui est toujours légitime, même si elle ne rentre pas dans les cases prévues par le professionnel.
Dans un contexte de budgets serrés, cette prise en charge plus personnalisée est-elle un argument concurrentiel ? Il y a une absolue nécessité de travailler sur la réputation. On part du principe que le patient a le choix de l’établissement qui va le prendre en charge. La qualité de soin étant partout la même (aux yeux du client novice), c’est le service qui fera la différence. On se souvient plus des petites attentions reçues avant et après les soins que de la prise en charge médicale en tant que telle. Concernant les soins, on s’en remet à des experts. Le patient jugera davantage l’établissement sur l’accueil, la sympathie du personnel, les petits gestes. Les petites attentions sont certes gratuites mais il n’empêche que de nouveaux services payants peuvent être aussi inventés afin de satisfaire le patient. Ceci permettra de revisiter son offre de services. Il y a certainement des choses que l’on faisait, mais dont on n’a plus besoin. Il faut donc voir où des économies peuvent être réalisées pour mettre l’accent sur des services à plus haute valeur ajoutée. On peut imaginer par exemple de proposer des ambiances différentes aux clients comme la SNCF le propose déjà dans le TGV. On peut imaginer des activités collectives pour ceux qui souhaitent être en compagnie d’autres personnes ou des formules très zen pour ceux qui veulent être dérangés le moins possible. Le « caring » est probablement plus présent aux États-Unis ou en Scandinavie, mais ce sont des pays où les métiers du service sont respectés. La France cultive encore trop souvent – ce que nous appelons nous – « la culture du mépris », c’est-à-dire que l’on dévalorise ceux qui servent, tous les métiers en contact direct avec le client. On rit, par exemple, des hôtesses de l’air en oubliant que leur mission première – avant de servir les boissons – est de rassurer les gens. Culturellement c’est très fort en France. De plus nous vivons dans une société encore élitiste qui entretient inconsciemment ces rapports. Dans les services hospitaliers les hiérarchies sont particulièrement marquées, donc il y a du travail à faire dans ce sens.
Dans quelle mesure peut-on améliorer la prise en charge du patient ? Il faut réduire la durée d’attente et améliorer les conditions de l’accueil. Il faut regarder sur quoi on peut être généreux avec les clients tout en se demandant bien sûr si cela apporte une véritable valeur ajoutée. Cela passe aussi par la valorisation de tous les corps de métier et notamment des professionnels les plus en bas de l’échelle qui sont d’ailleurs ceux qui ont le plus de contacts directs avec les patients. C’est aussi une façon de responsabiliser le personnel et de créer une atmosphère constructive. A l’Académie du Service nous faisons la promotion de la «symétrie des attentions » : c’est-à-dire l’idée de porter la même qualité d’attention à son collaborateur qu’à son client. Le collaborateur ne peut reproduire un comportement que s’il en a lui-même fait l’expérience. C’est la seule condition pour que tout cela marche dans la durée. Pour réussir une expérience client satisfaisante, il faut se mettre dans sa situation en refaisant tout son parcours : depuis le moment où il quitte son domicile jusqu’au moment où il quitte l’hôpital pour retourner chez lui. C’est ce que nous appelons «l’avant – pendant – après ». Pour prendre un exemple simple, lorsque vous allez voir un film dans un superbe cinéma multiplex ultra-moderne et que vous ressortez par un obscur couloir malodorant qui débouche sur un parking derrière le bâtiment, ce sont ces dernières impressions qui s’imprégneront dans votre mémoire et que vous associerez à cette expérience. L’expérience du film sera ternie par cet « après » plutôt négatif. En hospitalier, comment le patient arrive-t-il à l’hôpital ? Comment repart-il ? Ces aspects sont souvent négligés parce que les professionnels de la santé se concentrent sur leur cœur de métier : le « pendant ». L’idée est que l’on garde un souvenir positif et que l’on parle positivement de l’établissement dans lequel on a été traité. Il est important de reposer le sens du métier et réfléchir en plus à toutes les petites actions que l’on va pouvoir développer afin d’améliorer l’arrivée, le séjour et le départ du patient et pour que le parcours de ce dernier soit le plus fluide possible.