Pr. René MORNEX, rapporteur à l’Académie de Médecine met en garde contre l’utilisation abusive des ressources médicales.
Comment avez-vous commencé à vous intéresser aux prescriptions abusives d’examens ?
Il y a plus de 25 ans que je suis préoccupé par cette affaire, en particulier dans ma spécialité, l’endocrinologie. Depuis des années, on prescrit des bilans hormonaux à tout bout de champs, sans réelle nécessité médicale. Cette surabondance de bilans, d’examens, de prescriptions est extrêmement fastidieuse pour les patients, surtout pour les personnes en fin de vie, que l’on vient déranger pour des examens qui ne servent à rien. En 1977 déjà, j’ai publié un article dans la presse médicale intitulé « Pour une stratégie des examens paracliniques ». Je pense que, d’une façon générale, je déteste le gaspillage.
Est-ce un combat nouveau ?
En 2010 déjà, nous avons alerté les autorités sur ces examens superflus. Nous avons commencé à observer les disparités régionales en matière d’examens pratiqués, puis à tenter de les comprendre. La Fédération hospitalière a lancé une première étude sur les causes de ces différences, qui a eu un certain éclat médiatique, malheureusement assez bref. Aujourd’hui, les choses continuent de s’aggraver. Il faut imaginer une goutte d’eau, qui chaque jour, mine le système de santé : une échographie par ci, un bilan thyroïdien par là… C’est comme cela que l’on arrive à des sur-prescriptions, comme ce qui s’est passé dans le cas des nombreuses prostatectomies inutiles de ces dernières années. Il faut penser aux patients : les conséquences sont dramatiques. Nous nous sommes donc encore une fois penchés sur les prescriptions d’examens, nous avons réuni une commission, auditionné les parties prenantes, et nous sommes arrivés à une conclusion intéressante : le problème prend sa source en amont, dans la formation des médecins.
La formation des médecins serait donc à la source de ces sur-prescriptions ?
Oui. Pour bien interroger un malade, il faut près d’une heure, et non les 5 minutes qui sont imposées par des consultations avec un tarif de 23 euros. Comme on ne prend pas assez de temps pour interroger le patient, on prescrit une large batterie d’examens. Dans les facs de médecine, l’enseignement clinique se réduit à sa plus simple expression : apprendre la médecine revient à apprendre à passer un examen. Cela n’a pas de sens. A mon avis, plus la médecine est sobre, plus elle est belle. Il y a aussi la mentalité des patients « J’ai payé, alors, j’y ai droit ». J’ai déjà entendu : « je veux un scanner complet docteur, car j’y ai droit. » Il faut se méfier des équations simplistes : secteur privé contre secteur public. C’est avant tout, pour le patient, être soigné de manière plus pertinente donc plus sûre.