Agnès Verdier, directrice de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP) et Philippe François, chercheur et chargé d’études à l’IFRAP.
Entre nécessité politique et urgence économique, quelle est, selon vous, la marge de manœuvre dont dispose le gouvernement en termes de politique de santé ?
Dans le secteur de la santé, les marges de manœuvre sont considérables grâce aux progrès des techniques et des organisations. La chirurgie ambulatoire est rendue possible par des techniques moins invasives, l’hospitalisation à domicile peut s’étendre, y compris pour des traitements de pathologies lourdes comme le cancer, les soins de suite sont de mieux en mieux reconnus par les soins intensifs, le parcours de soins est capable de relier les différents secteurs de la santé, la télémédecine peut fournir une qualité de soins identique dans tous les territoires et la répartition des activités médicales entre les différents intervenants doit être redéfinie à la satisfaction de tous. Le tout à moindre coût. Tous ces progrès sont à notre portée, mais à condition que les gouvernements et les élus fassent preuve de courage, et de talent pour motiver les personnels : ces changements vont largement vider les hôpitaux et bouleverser les façons de travailler du monde de la santé. Des évolutions similaires ont eu lieu dans d’autres secteurs très divers (ex : agriculture, télécommunication, banque, médias, aviation) où les entreprises et les personnels se sont adaptés. Le monde de la santé, réputé pour sa motivation, doit le réussir aussi. Mais les responsables politiques doivent décider de prendre en compte l’intérêt général et renoncer, par exemple, à défendre leur hôpital quand il est visiblement trop grand, quand il duplique les services de l’hôpital voisin et quand il emploie de trop nombreux salariés.
Suite au dernier discours de François Hollande, peut-on raisonnablement espérer voir ce gouvernement miser sur les entreprises de santé que nous sommes pour redresser les comptes de la santé ?
La France a la chance de disposer des trois types d’établissements de soins, hôpitaux publics, hôpitaux privés de type mutualistes ou fondations et cliniques privées. Avec leurs caractéristiques, chacun a ses avantages et ses inconvénients. Comme dans la nature, il est essentiel que cette diversité biologique se perpétue et que ces trois espèces trouvent leur place. Mais il est aussi naturel que chaque catégorie veuille se développer. Et il est toujours tentant de souhaiter se trouver en situation de monopole. Croître en travaillant à fournir le meilleur service possible au meilleur coût est un mécanisme équitable, et les clients sont gagnants. Le problème survient quand, pour se développer, il est plus efficace de faire du lobbying dans les ministères que d’améliorer sa production. C’est un risque sérieux quand un des acteurs a des liens étroits avec l’arbitre et le financeur. Malgré tout, la contrainte financière et la pression populaire doivent un jour contraindre les responsables politiques à utiliser tous les talents et tous les leviers, y compris ceux des établissements privés de santé. Sans oublier le souvenir de leurs expériences personnelles quand eux-mêmes ou leurs proches ont dû choisir l’établissement où se faire soigner.
L’hospitalisation a signé depuis longtemps déjà un pacte de responsabilité avec la France, et le prouve. Selon vous, quels arguments l’opinion publique est-elle prête à entendre pour en être convaincue ?
Le sujet de l’organisation et de la qualité des soins n’intéresse pas beaucoup les personnes en bonne santé, et il est trop tard une fois qu’elles sont malades. D’où le rôle que devraient jouer les assureurs. La transparence des données médicales est une piste qui présenterait de gros avantages pour la santé en général, mais aussi pour faire connaître et apprécier le mérite des différentes filières de soins. Si les cliniques sont confiantes dans leurs qualités, je pense qu’elles devraient être moteurs sur ce thème. Une offre d’organisation des parcours de soins pour ceux qui le souhaitent pourrait aussi rapprocher les cliniques des patients. Des propositions, comme le dossier médical électronique, qui semblent impossibles à mettre en œuvre en France sur un plan général, pourraient l’être pour un groupe de volontaires. Dans le cas de l’école libre, il aura malheureusement fallu que la menace d’uniformité et de monopole se précise pour que les Français manifestent leur attachement viscéral à la liberté de choix. Espérons qu’on n’en arrivera pas à cette extrémité.